Parmi les 13 îles caribéennes qui ont célébré le carnaval durant cette période traditionnelle de l’année qui va du 1er janvier au Mercredi des Cendres, seule Haïti a décidé de maintenir officiellement son carnaval national dans la ville de Port-de-Paix du 14 au 16 février 2021. Le thème : « Ann kolé zepòl pou Ayiti dekolé ». Le président de la République Jovenel Moïse a fait cette annonce, incompréhensible pour beaucoup vu l’état sanitaire du pays, le 06 décembre 2020. Plusieurs groupes ont été invités tels que T-Vice, Sweet Micky, Djakout # 1, RockFam, Boukman Eksperyans, Kanpèch, Zikòs, Bel Look, Harmonik, Ekip, Enposib, Buzz, Tabou Combo, Tropicana d’Haïti, Septentrional, et Rebèl, Skhal Mizik et Kazi Mizik des groupes musicaux de Port-de-Paix. Reste à savoir quelles seront les conséquences de ces grands rassemblements sur la propagation de ce coronavirus dans le pays.
Les autres îles n’ont pas voulu courir le risque de faire exploser le nombre de personnes contaminées au Covid-19 et ont préféré annuler séchement ou avec quelques adaptations les réjouissances. Et le moins que l’on puisse dire c’est que la très grande majorité des carnavaliers caribéens, bien que déçus de ne pouvoir s’amuser ou désorientés de ne pouvoir gagner leur vie, a suivi à la lettre les consignes des autorités politiques et sanitaires.
Cependant, dans la Caraïbe française, plus précisément en Martinique et en Guadeloupe – et même plus loin sur le continent sud-américain, en Guyane française – on a vu des carnavaliers violer les interdictions et organiser ce qui a été appelé des déboulés ou défilés “sauvages” ou “marrons” ; le terme “marron” utilisé par certains évoquant presque les luttes menées par les “nègres marrons” pendant l’esclavage…
C’était comme si tout d’un coup, le Covid-19 avait permis à certains Martiniquais, Guadeloupéens et même Guyanais de découvrir ou d’imaginer toutes les vertus apportées à l’être humain par le carnaval (amour, communion, solidarité, libre expression etc.) et de l’impérieuse nécessité de celui-ci pour l’épanouissement de nos sociétés. En fait, il nous semble que c’était la première fois que le carnaval obtenait autant de qualificatifs positifs. Pourtant ces territoires français, la Guadeloupe en particulier, ont déjà connu des années sans réjouissances carnavalesques. En effet, en 2009, à cause de la grève générale due à la vie chère qui avait enflammé la Guadeloupe ainsi que la Martinique et déversé des milliers de manifestants dans les rues de janvier à mars et pendant une quarantaine de jours, le carnaval n’avait même pas été évoqué. Peut-être que les manifestants avaient assimilé ces défilés contestataires aux défilés carnavalesques…
Durant ce carnaval 2021, la Martinique s’est distinguée très tôt avec ces fameux défilés “sauvages”. Chaque week-end, le nombre de participants augmentait dans les rues de la capitale, Fort-de France, et le Mardi Gras, ils étaient des milliers avec ou sans masque anti-Covid-19 sur l’autoroute vêtus de rouge et noir pour honorer le Roi Vaval. On s’est alors demandé si les Martiniquais avaient bien pris conscience que leur île avait été confinée une deuxième fois en même temps que la France hexagonale du 30 octobre au 15 décembre 2020 et que le “variant anglais” très contagieux de ce coronavirus avait déjà été découvert sur leur sol et qu’il affectait à ce moment-là une vingtaine de personnes. “C’est la tradition”, répétaient certains carnavaliers qui estimaient avoir le droit de festoyer malgré cette pandémie. La plus grande incompréhension a été quand l’autorité préfectorale en Martinique a donné son approbation pour l’organisation d’une sorte de carnaval-spectacle au stade de Dillon du Dimanche Gras (14 février) au Mardi Gras (16 février). On a alors entendu un membre de l’organisation déclarer à la radio qu’en temps normal, cet espace sportif pouvait accueillir 18 000 personnes, et que 2 500 personnes seulement étaient attendues pour faire la fête en respectant les gestes barrières avec des prestations de plusieurs groupes et que, pour lui, il n’y avait pas de danger puisque ce stade recevait actuellement des matches de football… Ces deux manifestations étaient-elles comparables car un match ne dure que 90 minutes et non plusieurs heures, il y a rarement des milliers de supporters au stade en ce temps de Covid, hormis les deux équipes et les arbitres et il n’y a pas des dizaines de personnes qui se succèdent sur la pelouse… Pour attirer le maximum de participants, il fallait juste s’inscrire mais, comme dans un sursaut de responsabilité, moins d’un millier de carnavaliers avait fait le déplacement lors du premier jour et ce carnaval “autorisé” a connu un échec cuisant. Ceci a également démontré que le carnaval martiniquais et guadeloupéen se déroulent avant tout dans les rues et non dans les espaces clos.
En Guadeloupe, la charte établie par l’autorité préfectorale en collaboration avec le Conseil régional de la Guadeloupe, le Conseil départemental de la Guadeloupe, l’association des maires de Guadeloupe, l’agence régionale de santé et les associations carnavalesques visant à encadrer les activités des groupes (comme les répétitions dans leur local avec 50 personnes maximum) a plutôt été respectée. Il faut dire que 200 000 € (100 000 € du ministère de la Culture ainsi que 50 000 € du Conseil régional et du Conseil départemental de la Guadeloupe) avaient été mis sur la table à condition de suivre les règles établies et de présenter un projet. Alors, même les “groupes à peau” ayant les critiques les plus virulentes contre le système colonial et l’État Français avaient tout intérêt à rentrer dans le moule pour percevoir cet argent ; les groupes qui n’ont pas eu le temps de préparer un projet pourront même le faire après la période carnavalesque. Et puis, on a constaté que les groupes de Mas qui, auparavant, mettaient l’accent uniquement sur le carnaval ont subitement déclaré qu’ils étaient des “associations culturelles” qui proposaient diverses activités durant toute l’année…une façon de dire “même pas mal!” au Préfet autrement dit que son interdiction n’avait aucune incidence sur eux, ce qui est parfaitement faux.
Mais cette annulation du carnaval n’a pas empêché quelques déboulés “sauvages” ou “marrons” dans les rues notamment de Pointe-à-Pitre, des Abymes, de Basse-Terre de Sainte-Anne etc. Le plus important de ces défilés interdits a eu lieu le dimanche 14 février, le départ a eu lieu devant le Palais de la Mutualité à Pointe-à-Pitre (bâtiment ayant servi de quartier général à certaines organisations politiques, syndicales et culturelles lors de la longue grève de 2009) et les autorités judiciaires ont promis des sanctions fermes aux participants. “Pendant le carnaval, il est interdit d’interdire”, a affirmé un président de groupe pour tenter d’expliquer le comportement de ces carnavaliers hors-la-loi.
Dans la Caraïbe anglophone, hispanophone et néerlandophone, on n’a pas entendu parler de ce type de désobéissance dans le but de faire le carnaval coûte que coûte. La préoccupation première était plutôt au moyen d’obtenir les doses nécessaires pour mettre en place une campagne de vaccination. La mort dans l’âme, les amoureux du carnaval de ces îles ont compris que cette édition 2021 allait être inédite et, même s’ils voulaient l’organiser, il n’y avait pas de touristes pour les regarder, les complimenter, participer à la fête et surtout laisser des devises car chez eux le carnaval est un business, une industrie…
Alors, comment expliquer le comportement de certains carnavaliers de la Caraïbe française c’est-à-dire de la Martinique et de la Guadeloupe ? Ces carnavaliers hors-la-loi ont-il agi ainsi en se disant que la France a, de toute façon, les moyens de prendre en charge une augmentation du nombre de personnes infectées par le Covid-19 ou par ses “variants de nationalités diverses”? Le statut politique de la Guadeloupe et de la Martinique peut-il expliquer cette volonté de ne pas respecter cette annulation des défilés du carnaval décidée par le Préfet, le représentant du gouvernement français dans ces territoires? Si la Guadeloupe et la Martinique étaient indépendantes et que le carnaval avaient été interdit, ces carnavaliers hors-la-loi auraient-ils parcouru le macadam ou auraient-ils pris conscience des possibilités de soins limitées dont disposeraient leurs territoires à l’instar de beaucoup d’îles caribéennes?