Le 10 septembre 2018, Kariculture a été le premier média à dénoncer la fermeture du Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre dans un article intitulé “Centre des Arts et de la Culture: fermé depuis 10 ans déjà!“. Tout avait été fait pour que nous n’ayons aucune information concernant ce lieu culturel mais nous avons réussi à publier un écrit.
À l’époque, aucun artiste, aucun organisateur de festivals ou de spectacles, aucun parti ou mouvement politique, aucun lanceur d’alerte, aucun journaliste (notamment de la chaîne nationale qui, aujourd’hui, se précipite micro et caméra en main pour savoir ce qui s’y passe !) ne s’intéressait à ce vieux bâtiment situé au beau milieu de la ville, qui avait servi pendant une trentaine d’années et qui était tombé en désuétude, pourtant tout le monde passait devant…
Après les élections régionales de juin dernier, subitement certains l’ont redécouvert et, le 5 juillet dernier, il a été envahi par un groupe d’artistes et autres qui se réclament d’un mouvement politique nationaliste.
“Tant mieux!”, “il était temps!”, “on saura enfin ce qui s’y passe”, “les travaux vont enfin être terminés”, c’est une partie du florilège de commentaires de ceux qui approuvent cette occupation que l’on a pu entendre.
D’autres, comme Kariculture, la désapprouvent car, si symboliquement il s’agit d’un acte fort qui restera dans les annales, concrètement, elle ne fait pas avancer le dossier ; nous n’évoquerons même pas les conséquences judiciaires d’un éventuel accident corporel sur ce chantier, ce serait alors ajouter des problèmes à des problèmes.
Si certains pensaient que tout allait être résolu, il n’en est rien. Très vite, on s’est rendu compte que ce dossier est un gros chewing-gum qui a été longuement mâché et qui est devenu très dur.
Aujourd’hui, il y a une sorte de “guerre” entre les occupants du CAC et la communauté d’agglomération Cap Excellence. En effet, les premiers affirment que c’est leur mobilisation qui a fait bouger les choses, la seconde répond qu’elle n’a jamais cessé de travailler sur le dossier mais qu’elle n’avait plus un sou pour terminer les travaux… En 2018, lors de notre enquête, pourquoi n’avons-nous trouvé personne pour nous faire au moins cette réponse ?
Depuis trois mois, le Centre des Arts et de la Culture squatté est devenu un lieu de pèlerinage pour les nostalgiques de la belle époque, un lieu où il faut absolument se montrer, se prendre en photos car nous sommes dans une société d’images et surtout parce que beaucoup (notamment les artistes) espèrent que les retombées de cette mobilisation seront fructueuses et ils souhaitent avoir leur part du “gâteau”.
“Tout ce remue-ménage au Centre des Arts n’a qu’un seul objectif: que Cap Excellence embauche les squatters ou plus particulièrement les têtes pensantes de ce mouvement dont certaines ne savent pas quand elles organiseront à nouveau un festival ou un concert (…)”, c’est l’avis de certains qui observent avec attention le “dékatman” de cette affaire qui a déjà fait couler beaucoup de salive et d’encre.
En effet, ça cause beaucoup et des emplois stables (avec des dénominations un peu farfelues) dans le futur Centre des Arts et de la Culture, payés par Cap Excellence, sont attribués à toutes les “têtes pensantes” ainsi qu’aux artistes les plus assidus au lieu : directeur des arts visuels, directrice des festivals, directrice de la programmation artistique, responsable de l’atelier danse, responsable de l’atelier peinture, responsable de l’atelier musique, responsable de l’atelier chant, et des chefs de projets dans tous les domaines artistiques etc. “Ça cogite, ça rédige beaucoup là-dedans pour pondre des projets donc, il vaut mieux être dans les petits papiers des organisateurs du squat!”, disent certains artistes qui se sont rendus sur les lieux.
Alors, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les véritables motivations des organisateurs de cette occupation : est-ce une mobilisation pour l’intérêt général donc pour donner à la culture la place qu’elle mérite dans l’archipel guadeloupéen, notamment au niveau économique? Ou est-ce une mobilisation pour l’intérêt particulier, c’est-à-dire pour permettre à quelques-uns de décrocher un emploi puisque certains n’ont pas eu de rentrée d’argent depuis le début de cette pandémie de Covid-19? “Tant de sueurs, de cris et de nuits blanches pour rien du tout? C’est impossible! Certains dorment sur place, il y a forcément un deal entre Cap Excellence et ces occupants”, avancent certaines personnes, dont des artistes.
Posons clairement la question : y a-t-il un accord entre Cap Excellence et les occupants du Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre qui doit déboucher sur le recrutement de membres du collectif ?
En tout cas, si ces occupants souhaitent que le nouveau Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre ouvre enfin ses portes aux artistes et au public, il faudra qu’ils quittent, un jour, les lieux pour permettre la reprise des travaux.
Il est clair que toutes les activités qui s’y déroulent depuis trois mois sont considérées comme illégales par Cap Excellence et cette dernière n’a peut-être aucune envie de conserver des traces de ce “soulèvement”. Les fresques peintes à l’intérieur du bâtiment seront-elles intégrées au nouveau projet ou recouvertes d’une épaisse couche de peinture?
C’est une question à laquelle devra aussi répondre le fameux programmiste, ce « messie » qui doit repenser le projet. En général, la mission de ce professionnel est d’intervenir avant même l’architecte pour évaluer la faisabilité d’un projet de construction et ici ce n’est pas le cas. Mais, concernant le Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre, on a l’habitude de mettre la charrue avant les bœufs puisque la « Maison du Projet » (ce container gris et orange déposé au pied du CAC) prévue par la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine devait associer la population au nouveau projet mais elle est arrivée longtemps après et elle n’a jamais ouvert ses portes…
En juillet dernier, il était d’abord question que Cap Excellence redémarre les travaux au début de 2022 et livre la salle de diffusion dans le 2e semestre de 2022 (décembre) afin de permettre aux artistes de s’y produire et gagner leur vie. Cependant, après moult discussions avec les acteurs des différentes disciplines artistiques, il a été décidé en septembre dernier que la collectivité livrera cet auditorium de 1 500 places, mais aussi la salle de création et la salle de formation. De prime abord, livrer le Centre des Arts et de la Culture paraît simple puisque le gros œuvre est plus ou moins achevé mais il faudra ajouter des vestiaires pour les artistes, des toilettes ainsi que le hall d’entrée.
Actuellement, avec ces réalisations supplémentaires, personne ne sait quand le Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre sera prêt à accueillir de nouveau les artistes et le public. Que décidera le programmiste ?
Cap Excellence affirme investir 17 millions d’euros sur ses fonds propres dans ce chantier et attend que des partenaires – comme l’État, le Conseil Régional de la Guadeloupe, le Conseil Départemental de la Guadeloupe – apportent les 18 millions d’euros restants dans le plan de financement. L’État voudra-t-il d’abord comprendre pourquoi il y a eu plusieurs défaillances d’entreprises dans un projet de réhabilitation qui, au départ, paraissait simple, avant d’apporter une participation financière?
Par ailleurs, l’argument principal de Cap Excellence pour « refiler » le bébé aux collectivités majeures n’est pas recevable. Selon cette communauté d’agglomération, le Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre n’appartient pas à Cap Excellence mais à toute la Guadeloupe, même s’il se trouve sur son territoire. Cette explication pouvait se comprendre lors de la construction de cet établissement dans les années 1970 et jusqu’en 2000. Aujourd’hui, la prédominance du CAC n’existe plus, plusieurs communes se sont dotées de salles de spectacles, les centres socioculturels et maisons de la culture dispensent des cours de musique, peinture, chant et autres disciplines artistiques. Et puis, rien ne prouve que toute la Guadeloupe voudra revenir à Pointe-à-Pitre (à l’exception du Dimanche Gras), une ville-centre qui s’est vidée de sa population… Il faut se rendre à l’évidence : le Centre des Arts et de la Culture n’est plus le moteur de la ville de Pointe-à-Pitre et il n’est pas sûr qu’il le redevienne.