Depuis plusieurs années déjà, on assiste à une vraie migration des chanteurs, chanteuses et musiciens(nes) guadeloupéens vers la France hexagonale et parfois vers la Grande-Bretagne.
Afin d’expliquer ce départ massif de nos artistes, on doit d’abord s’interroger sur l’industrie du disque, le rôle des médias, l’organisation des spectacles, bref sur la politique culturelle de la Guadeloupe.
Les principales maisons de production comme Disques Debs, Moradisc ou Liso Music ne sont plus d’actualité. Le paysage audiovisuel guadeloupéen (PAG) a, de son côté, évolué. Par exemple, la célèbre émission musicale “Partition” qui était diffusée sur la chaîne nationale-locale RFO Guadeloupe (aujourd’hui, Guadeloupe 1ère) ainsi que les clips musicaux ont été évacués de la grille des programmes… Heureusement, Internet est apparu! De nombreuses grandes boîtes de nuit qui organisaient des spectacles ont fermé leurs portes. Le cimetière des festivals musicaux s’agrandit…
En Guadeloupe, on préfère donner 10 000 euros et plus à des artistes venus d’ailleurs pour chanter avec une bande-son dans un grand festival ou mettre sur un piédestal des artistes qui ne représentent rien dans leur pays et ignorer les artistes locaux. Le pire c’est que beaucoup de responsables dans ce pays semblent trouver cela normal…
Il faut aussi préciser que beaucoup de nos artistes ne sont prêts à se produire sur des petites scènes locales (restaurants, bars etc.) pour gagner leur vie, ce genre de projet est plutôt envisagé en fin de carrière ou après avoir découvert les grandes scènes en France et à l’étranger.
Le vent de la “World Music”
Les artistes qui quittent leur île pour se rendre en Europe sont à la recherche de meilleures opportunités professionnelles. Mais, ces occasions de faire une grande carrière là-bas existent-elles réellement?
Durant les années 1980-1990, le vent de la “World Music” soufflait sur Paris. Subitement, la France, pays conservateur par excellence, découvrait qu’il y a en Guadeloupe et dans les autres Départements et Territoires d’Outre-Mer des artistes talentueux. Certains artistes et groupes comme Kassav’, Zouk Machine, Tanya Saint-Val, Joëlle Ursull ou encore Francky Vincent ont été sous les projecteurs. Ils intégraient les grandes maisons de disques avec tous les avantages que cela comporte. Ils étaient invités dans des émissions de variétés comme “Champs Élysées” sur la chaîne de télévision Antenne 2 (aujourd’hui, France 2) avec les célèbres artistes “français de France” et, pour rien au monde, les Guadeloupéens de Guadeloupe et les Guadeloupéens de France ne rataient ces moments télévisés qu’ils considéraient comme une reconnaissance (enfin!) de leur talent par les médias français. En outre, leurs clips étaient diffusés sur les grandes chaînes de télévision comme M6.
Un public composé surtout d’Antillais
Depuis, les choses ont bien changé. Tout d’abord, le paysage audiovisuel français (PAF) a, lui aussi, connu une profonde mutation et les émissions de variétés très populaires sont passées à la trappe… Ensuite, la mode de la “World Music” s’est estompée. Et parfois, il ne fait pas bon chanter en créole sur les scènes françaises; juste quelques mots pour faire “exotique” mais pas plus…
Depuis cette belle époque, aucun artiste guadeloupéen n’a vraiment percé au plan national. Pourtant, la nouvelle génération de chanteuses et chanteurs (notamment de zouk) chantent en français, ils sont compris par un plus large public mais on ne peut pas affirmer que leur carrière soit nationale même si la chaîne payante, Trace TV, diffuse leurs clips.
Il y a, malgré tout, un point positif que nous pouvons souligner: maintenant, beaucoup plus d’artistes guadeloupéens se produisent dans des lieux mythiques de la capitale française (Olympia, Bercy, Le Zénith, Bataclan, New Morning etc.)… mais devant un public composé d’une très large majorité d’Antillais. Cependant, si les médias nationaux se font l’écho des concerts d’artistes “français de France” et étrangers (Angleterre, États-Unis…) dans ces salles parisiennes, ils observent un silence total quand il s’agit de nos artistes… Il y a aussi quelques artistes qui se produisent régulièrement sur des petites scènes, notamment en Province.
Qu’en est-il de la “starisation”?
En 2008, selon l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), sur 364 800 Domiens vivant en France hexagonale, 115 400 étaient Guadeloupéens (117 000 Martiniquais, 24 000 Guyanais, 108 000 Réunionais). Il s’agit d’un marché supplémentaire pour nos artistes mais, si les parents écoutent de la musique antillaise, il se peut que leurs enfants préfèrent le rap français ou américain…
Mais, les Guadeloupéens vivant en France sont-ils “organisés”? Sont-ils solidaires les uns des autres? Ceux qui gagnent beaucoup d’argent investissent-ils dans des événements ou des lieux afin de permettre à nos artistes de s’exprimer régulièrement et de promouvoir ainsi notre culture? La réponse est non.
La “starisation” est-elle responsable du départ systématique de nos artistes vers la France hexagonale? La Guadeloupe avec ses 1704 km2 est certainement trop petite pour conserver l’anonymat, préserver la vie privée de certains artistes qui sont ou qui pensent être des stars et qui, par conséquent, ne veulent pas rencontrer tous les jours les gens de l’île et risquer de tomber dans la banalité. Alors, faut-il croire ceux qui déclarent que beaucoup de nos artistes s’enferment dans des appartements de la banlieue parisienne et de province et affirment être en tournée à l’étranger ou en studio d’enregistrement?
Ce qui est sûr, c’est que, malheureusement, nombre de nos artistes ayant fait le choix de quitter la Guadeloupe pour résider en France hexagonale ne vivent pas de leur art.