Érick Marset: “ L’essentiel est, à mon avis, dans l’intérêt que l’on peut porter aux divers thèmes évoqués dans le livreˮ

Érick Marset - Photo: Jonathan Laballe

En août dernier, l’écrivain guadeloupéen Érick Marset a publié, sur la plateforme numérique ÉpopArt-Créations, un recueil de neuf nouvelles intitulé “Les Ondoyantes Dimensions de l’Être”. Il a accordé une longue interview à Kariculture afin de présenter son ouvrage.

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Kariculture : Au mois d’août dernier, vous avez publié sur la plateforme numérique ÉpopArt-Créations, “Les Ondoyantes Dimensions de l’Être”, pourquoi ce titre un peu “philosophique”?

Érick Marset : Mes nouvelles m’ont inspiré cela, car elles amènent à se poser des questions, à s’interroger après coup. Le titre n’a pas été facile à trouver parce qu’un recueil est, comme on le sait, composé de plusieurs histoires qui peuvent avoir un même substrat, mais posséder une différence, être autonomes l’une rapport à l’autre.

Et là, les thèmes peuvent être proches ou différents. Quelquefois, en se relisant, on découvre que ce que l’on a écrit, produit, touche à des domaines qui ne traduisent pas forcément l’idée de départ. Bien sûr, il y a presque toujours une idée ou des idées sur lesquelles on s’appuie pour créer son histoire. Mais cette même histoire peut nous amener, à l’occasion, dans une direction que nous n’avions pas forcément envisagée. Notre environnement peut nous influencer en positif ou en négatif, et nous pouvons aussi interagir avec elle. Il peut se créer des situations qui nous poussent à nous interroger sur une scène à laquelle on a assisté, une information qui nous est parvenue, un livre ou un journal qu’on a lu, ou une rencontre qu’on a faite.

Et depuis quelques années, les choses bougent énormément sur notre monde, en bien ou en mal. Des bouleversements semblent être en cours concernant la façon de concevoir la société, l’éducation, l’économie, la science…la vie tout court. Certains d’entre nous peuvent avoir des interrogations qu’ils ne peuvent pas exprimer verbalement ou choisissent de ne pas le faire par ce biais-là, mais ils peuvent aussi le faire consciemment ou inconsciemment à travers la musique, la peinture, le cinéma, la danse, l’écriture et d’autres domaines encore… La Guadeloupe a perdu, en une courte période de temps, des gens de grande valeur tels Jean-Pierre Sainton, Gérard Lockel, Christian Lara et d’autres encore, je pense qu’il y a des interrogations communes sur le sens de la vie, quelle direction nous prenons, et aussi d’où sommes-nous partis, le point de départ, cela me fait également penser à la théorie du big bang. En fin de compte, rien n’est figé. Cela bouge, cela évolue, il y a une transition…

Kariculture : Dans ce recueil de nouvelles, vous abordez plusieurs thèmes (l’esclavage, la tradition, les classes sociales, la nature, la drogue, l’amour etc.), comment les avez-vous sélectionnés?

É. M. : En fait, je pense qu’ils se sont sélectionnées d’une façon naturelle, dans le sens où tous ces thèmes font partie de l’actualité, de notre quotidien même pour certains. Et puis ces sujets-là me parlent, m’interpellent, me touchent. Précédemment, je parlais d’environnement, eh bien il y a toujours une relation, une influence de ceci par rapport à cela. Parfois, ces thèmes peuvent avoir un lien entre eux, par exemple l’esclavage et la tradition.

Kariculture : On a l’impression de passer d’une époque à une autre en lisant ces différents récits, même s’il n’y a pas de dates, vouliez-vous mettre en scène la Guadeloupe d’antan et la Guadeloupe moderne? Comment vous est venue l’inspiration? Aviez-vous un moment préféré pour vous consacrer à l’écriture?

É. M. : C’est très agréable pour moi de vous entendre dire cela. Le fait d’avoir l’impression de passer d’une époque à une autre ­– c’est comme un voyageur du temps – selon moi, il se crée du mouvement, de la vie. Le fait de le ressentir sans qu’il n‘y ait de date est très intéressant, car cela laisse de la place à la découverte, à l’analyse, on peut “pénétrer ˮ dans l’histoire tout en sensation. Que la lectrice ou le lecteur ne s’ennuie pas, que mon écrit évoque des choses, fasse voyager est essentiel pour moi. Il ou elle peut ne pas aimer, ce qui peut se comprendre. Nous avons chacun nos goûts, notre façon de ressentir les choses. Il faut une variété d’opinions.

Comme je l’ai déjà évoqué, on produit des histoires à partir d’une idée, d’un ressenti ou d’autres choses. Mais le récit peut vous entraîner à l’occasion vers une voie que vous n’aviez pas forcément définie au début de l’écriture. Et le lecteur à son tour peut découvrir une autre facette de la nouvelle que vous n’aviez pas envisagée. Maintenant, avec du recul, je découvre d’autres facettes de mon livre, soit par moi-même, ou grâce aux avis des lecteurs. C’est pour moi un enrichissement.

Je n’ai pas de moment particulier pour me consacrer à l’écriture, dès l’instant où j’ai la possibilité de produire et que je suis à l’aise, je me mets au travail. L’inspiration arrive n’importe où et à n’importe quel moment ; il n’y a pas véritablement de règles, me concernant. L’inspiration peut être déclenchée par énormément de choses, par exemple un bruit, une musique, une lecture, des mots prononcés par une personne, un fait conscient ou inconscient, un film, le vent qui souffle, les arbres, les animaux, une scène quelconque, le silence… et d’autres choses encore, je ne pense pas qu’il y ait vraiment de limites.

Kariculture : Combien de temps avez-vous pris pour rédiger ce recueil qui compte 9 nouvelles?

É. M. : C’est compliqué de définir le temps de création du recueil. Certaines nouvelles ont été écrites il y a plus de vingt ans, d’autres dix, une ou deux ont été produites, il y a cinq ans… C’est difficile de le dire. Par contre, je peux vous confier que la décision de faire ce recueil s’est prise, il y a moins d’un an. Il peut arriver que l’on se consacre tant à un projet d’écriture qu’on peut étonnamment passer à côté d’une date de création.

Kariculture : On aurait aimé en savoir davantage en lisant des récits comme “Survivance” avec Edmond et la fameuse source qu’il cherche à préserver ou “Sédo”, cet être qui semble avoir des pouvoirs surnaturels ou “Le son tambour” avec Mwango, ce personnage qui est un maître-ka et un sorcier… La nouvelle est malheureusement courte. N’avez-vous pas envie de développer certaines de vos nouvelles et d’en faire des romans?

É. M. : La nouvelle est, par essence, une histoire courte. Il y en a donc des courtes, des très courtes, des nouvelles longues. Il n’y a pas vraiment de règle stricte. Il y a bien des années de cela, j’avais découvert la nouvelle d’un auteur qui devait faire près de cinquante pages. J’avais été assez surpris par ce format. Malheureusement, je ne me souviens pas du nom de l’auteur. Selon moi, une nouvelle est un instantané, une petite séquence ou un intervalle de temps. Ce genre de récit n’a pas pour but de développer une histoire contrairement au roman. Celui-ci permet de “fouillerˮ les personnages, d’avoir une histoire plus dense… La nouvelle est appelée short story (histoire courte) par les Américains. Les Anglo-Saxons “consommentˮ aussi bien les nouvelles que les romans. En France, ce n’est pas la même chose ; la nouvelle est plutôt le parent pauvre de la littérature. En Guadeloupe, nous avons peut-être hérité de cela par la force des choses. Il est vrai que lorsque l’on s’est habitué à ne lire que des romans, il est bien souvent compliqué de prendre la nouvelle pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un récit court qui peut laisser une action en suspens.

J’ai le projet de développer une des nouvelles du recueil, de faire en sorte qu’elle devienne un roman. Pour l’instant, je ne vais pas dire de quelle nouvelle il s‘agit. Cela était prévu vraiment bien avant l’idée de réaliser ce nouveau livre.

Kariculture : Pourquoi avez-vous choisi de publier votre 4e livre également en format numérique? Pensez-vous que le lecteur, notamment guadeloupéen, est maintenant prêt à acheter un livre numérique et oublier un peu le livre en format papier?

É. M. : Je suis resté avec le même éditeur que mon précédent livre qui était un roman. Rien n’est parfait, mais je considère que les relations sont bonnes. Il n’y a pas de pression. Il n’y a pas de volonté de m’influencer dans le choix des thèmes de mes histoires.

Le Guadeloupéen est-il prêt à acheter un livre numérique ? Est-ce que l’on s’adresse à une tranche d’âge, aux jeunes, ou à un ensemble de personnes toutes générations confondues ?

Nous ne vivons pas isolés du reste de la planète. Il est clair que nous avons nos habitudes, nos “mès é labitidˮ mais en matière technologique, de nouvelles technologies de l’information et de la communication, il y a toujours un petit temps d’adaptation, et c’est parfois une question de générations. Déjà en parlant de génération, il y a des jeunes, et pas seulement eux, qui ont une forte tendance à se servir essentiellement de leur carte bancaire pour régler leurs achats. Certains m’ont même avoué ne pas circuler avec de l’argent liquide. Maintenant, est-ce une excellente chose dans l’absolu ? C’est le futur qui le déterminera. Néanmoins, les Guadeloupéens ont une grande faculté d’adaptation à ce qui se présente à eux, ils ont également un potentiel extraordinaire, il ne faut surtout pas les sous-estimer. Pour ma part, je ne souhaite pas du tout que le livre papier disparaisse, je continue à le lire. Une cohabitation est tout à fait possible avec le numérique. Il ne faut pas crier à la fin du monde. Il y a aussi les croyances : au 19e siècle, lorsque la locomotive à vapeur a commencé à se démocratiser, les médecins pensaient, par exemple, que le corps des femmes n’était pas conçu pour supporter une vitesse de 80 km/h et craignaient que leur utérus ne soit endommagé ou violemment secoué sous l’effet de l’accélération pour atteindre cette vitesse. On a découvert, depuis lors, que c’était complètement infondé et ridicule.

Pour en revenir au format de production de l’écrit, je n’ai pas le désir de ne plus rien publier au format papier. Et puis, nous verrons ce que le futur apportera…

Kariculture : Une télévision en Guadeloupe a refusé de présenter votre ouvrage car il est “numérique”, comprenez-vous cette “explication”? On aurait pu vous filmer devant un écran d’ordinateur ou avec votre smartphone à la main, non? Pensez-vous que certains médias ou journalistes locaux ne sont pas encore passés au 21e siècle?

É. M. : Le journaliste de cette chaîne s’est montré cordial, il a pris le temps de m’expliquer pourquoi il n’était pas possible pour moi de présenter en télé mon livre numérique. J’ai pris le temps de l’écouter. J’ai pensé que ses explications étaient un peu lourdes. Mais j’ai évité de le mettre réellement en difficulté en pointant ses incohérences. Je ne voulais pas être désagréable. J’ai compris qu’il avait son point de vue, qui semblait inébranlable. Donc, après un certain temps de paroles, j’ai pris congé.

Est-ce que je pense que certains médias ou journalistes de chez nous ne sont pas encore passés au 21e siècle ? J’écoute la radio, je lis les journaux, et je regardais la télé (la mienne est en panne.), je reste sur ma faim concernant le développement de l’information, sur la façon dont sont présentées les choses par certains médias. Je marche dans les rues, je côtoie les gens, je vois les gens vivre. Vous savez, ce peuple, comme je l’ai dit, s’adapte à ce qui se présente à lui. Si vous avez la possibilité de choisir, ou si vous avez plusieurs niveaux de choix, les gens ne sont ni bêtes ni idiots, ils sauront faire la différence. Donc, je pense que c’est une question de niveaux de choix. Faut-il donner la possibilité aux gens de faire leur choix ? Qui n’est pas prêt ou qui ne souhaite pas que les choses évoluent ?

Kariculture : Le vendredi 8 septembre dernier, vous avez présenté votre livre numérique dans au “Bar à jeux de société” à Pointe-à-Pitre, quel accueil vous a réservé le public?

É. M. : En commençant par me présenter au public, j’ai pu susciter un intérêt sur la “genèseˮ de l’auteur concernant l’écriture. J’ai fait une sorte de récit de cette histoire avant de passer aux récits des nouvelles. Le public est bien souvent curieux de savoir ce qui a amené l’auteur à se lancer sur le chemin de l‘écriture, à adopter cet art afin de s’exprimer, ce qui est tout à fait dans le cours des choses. Il souhaite connaître le parcours de l’auteur, sa première production.

Il y a donc eu un très bon accueil du public. Cela a été très convivial, il y a eu de beaux échanges, de l’honnêteté.

Certaines personnes attachées à la lecture du livre papier m’ont dites qu’après m’avoir rencontré, elles allaient franchir le pas, à savoir se procurer mon recueil de nouvelles au format numérique. J’ai été agréablement surpris de cette décision. Il est vrai que le format peut être important et, comme je l’ai déjà dit, cela peut nécessiter un petit temps d’adaptation. Cependant, le plus important, n’est-ce pas l‘histoire? L’essentiel est, à mon avis, dans l’intérêt que l’on peut porter aux divers thèmes évoqués dans le livre, sur la façon dont l’histoire est développée, et aussi l’envie pour le lecteur de poursuivre sa découverte du récit, parce qu’il y a pris goût. Si tout cela est réuni, alors je pourrai dire que je suis sur la bonne voie.

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L’écrivain et comédien Érick Marset chez lui – Photo: Jonathan Laballe