Le coronavirus n’a pas eu raison de la 49e édition du Festival Culturel de Fort-de–France qui a lieu du 4 au 28 juillet. Swaré bèlè, soirée numérique, concert de Jocelyne Béroard, expositions à la Manufacture et un grand cénacle sur le déboulonnement des statues en Martinique et dans le monde feront partie des manifestations proposées cette année malgré des contraintes sanitaires et un budget réduit.
Kariculture a rencontré Henri-Olivier Michaux, chargé du développement culturel de la ville de Fort-de-France en Martinique. Il fait le point sur cette édition particulière dont le thème est “Entre nous”.
Kariculture.net : Comment est né le Festival Culturel de Fort-de-France ?
Henri-Olivier Michaux : Aimé Césaire, alors maire de Fort-de-France, a créé le Service Municipal d’Action Culturelle pour permettre aux classes populaires d’avoir accès à l’éducation culturelle. Jusqu’à ce jour, on y propose divers ateliers artistiques et les tarifs sont très abordables. Au fil des années, on a ajouté des disciplines comme la musique assistée par ordinateur ou le graphisme.
Au départ, le festival créé en 1972, était un moyen de montrer ce que les ateliers avaient développé pendant l’année. Ensuite, Aimé Césaire est allé plus loin, il s’en est servi pour faire venir des troupes internationales, d’Afrique, d’Asie, d’Europe afin de permettre aux personnes issues des quartiers populaires de voir des spectacles qu’elles n’auraient jamais eu l’occasion de voir autrement, et ce à des prix dérisoires.
Chaque maire a ensuite été à l’origine d’une nouvelle manifestation au sein du festival. La Jazz night est née sous la mandature de Serge Letchimy, le Carnaval des Arts sous celle de Raymond Saint-Louis-Augustin et la Manufacture, dernière née, sera l’héritage de Didier Laguerre. Les équipes se sont rajeunies, depuis. On a essayé d’apporter des touches de modernité tout en gardant l’essence du festival.
Kariculture.net : Qui sont vos festivaliers ?
H.O.M. : On s’efforce d’avoir des manifestations qui touchent tout le monde : des événements pour toute la famille, pour les jeunes, les amoureux du jazz, du théâtre etc… On propose même des manifestations religieuses. Pour ceux qui aiment les conférences et les échanges intellectuels, il y a les cénacles. Il nous manquait les festivaliers friands de prestations qui sortent de l’ordinaire. On a donc créé la Manufacture, sorte de laboratoire du festival. Des artistes d’horizons très divers sont invités à travailler ensemble sur des projets artistiques. L’année dernière, on a associé le chanteur Miki Debrouya avec le guitariste Nicolas lossen et le beatboxer Ven.
Avec celui d’Avignon, notre festival est l’un des derniers festivals pluridisciplinaires français. Il y a du théâtre, des arts plastiques, de la musique, de la danse et des conférences.
Kariculture.net : Est-ce que le festival représente un atout touristique ?
H.O.M. : Le festival n’a pas vocation à être un produit touristique. Si on voulait que ce soit le cas, il aurait lieu en mars et serait concentré sur une semaine. C’est un festival pour les Martiniquais, c’est un choix. Ainsi, ils n’ont pas besoin de prendre un avion ou un bateau pour voir des artistes internationaux. Il est également destiné aux étudiants ou expatriés martiniquais qui rentrent en juillet-août et qui sont souvent en manque de leur culture.
Kariculture.net : Vous avez tenu à maintenir cette édition quand beaucoup d’autres festivals ont décidé d’annuler, pourquoi ?
H.O.M. : On tenait vraiment à faire cette 49ème édition parce que l’année prochaine ce sont les 50 ans, et on veut célébrer la 50ème édition en grande pompe ! Il fallait donc à tout prix qu’on trouve un moyen d’organiser le festival cette année, en se pliant au contexte sanitaire.
En temps normal, le festival dure trois semaines et il y a une à deux manifestations par jour, soit environ quarante manifestations durant le festival. Sept ou huit sites différents sont généralement exploités : les quartiers de Fort-de-France, le Théâtre Aimé Césaire, le Grand Carbet, La Savane, le Malecon et, plus rarement, le grand marché couvert et le parvis de l’ancienne mairie.
Le festival représente 1,2 million d’euros de budget normalement. Cette année, on en a eu le tiers, soit 400 000 euros. On a gardé la même durée, trois semaines, mais il y a des trous. Douze manifestations sont prévues et auront principalement lieu au Parc Aimé Césaire et au Kiosque Guédon.
Kariculture.net : Quelles mesures avez-vous prises par rapport au COVID-19 ?
H.O.M. : Nous avons réduit à 2500 personnes la jauge du Parc Aimé Césaire, habituellement, elle est fixée à 6000 personnes. On n’installera pas de mobilier de table afin que les distances de sécurité puissent être respectées. Le gel hydro-alcoolique et le masque seront obligatoires à l’entrée et pour circuler à l’intérieur du parc. On compte sur le civisme et le bon-sens des festivaliers.
Kariculture.net : Quels seront les temps forts ?
H.O.M. : Le moment fort de cette édition c’est le Symposium du 23 et 24 juillet sur le Malecon. C’est un cénacle XXL. Pour la première fois, un thème sera traité sur deux jours au lieu d’un. Il s’agit du déboulonnement des statues en Martinique et dans le monde. On a invité des intervenants d’ici et de l’hexagone. C’est le moment que tout le monde attend et que tout le monde appréhende également, parce que le sujet est délicat. Beaucoup de personnes voudront certainement s’exprimer. Il faudra donc une maîtrise particulière du micro pour respecter les gestes “barrière” ! Même si l’on n’est pas un inconditionnel des cénacles, je pense qu’il ne faudra pas rater celui-là.
Kariculture.net : Quel est ton coup coeur artistique cette année ?
H.O.M. : Titof, l’artiste invité à la soirée des jeunes. C’est un choix personnel, mes collègues ne le connaissent pas (rires). Il fait partie de ces artistes qui déplorent ne pas faire de scènes chez eux. Il faut dire la vérité, certains textes sont assez crus ou violents parfois mais je pense qu’il ne faut pas réprimer, quel que soit l’art. À partir du moment où l’oeuvre a trouvé son public, je considère qu’elle est légitime. Dans son dernier album, il a montré qu’il peut faire autre chose que parler de la rue ou être dans l’invective.
Ça me dérange de voir nos artistes martiniquais avoir plus de reconnaissance ailleurs. Ici, on fait venir des Jamaïcains toute l’année qui tiennent les mêmes propos dans leur musique, c’est juste qu’on ne comprend rien. Du coup, on estime que c’est plus légitime que nous.
Je prends la responsabilité de cette programmation. On montrera à tout le monde que les jeunes peuvent venir apprécier la musique d’un artiste issu des quartiers populaires foyalais sans qu’il n’y ait de problèmes. On a invité Kalash, pourquoi pas Titof ?
Kariculture.net : Des anecdotes à nous raconter sur ton expérience au festival ?
H.O.M. : Je me souviens avoir plongé dans l’eau de la plage de La Française devant le public du Malecon, parce qu’un scooter des mers s’était renversé dans l’eau. C’était il y a 6 ans, pendant un spectacle de Flyboard lumineux de Francky Zapata. On a été parmi les premiers à l’inviter à se produire. Il s’est fait connaître ensuite grâce à l’émission Incroyable Talent. L’an dernier, il a survolé les Champs Elysée le 14 juillet, à la demande du Président.
Un autre moment marquant pour moi fut l’hommage à DJ Jom’x sur La Savane, l’année dernière. J’ai dit un petit mot pour lui devant 40 000 personnes. D’habitude, je n’ai pas de difficultés à m’exprimer en public mais là c’était particulier…
Sinon, on a aussi des artistes avec des envies particulières, dont certaines que l’on taira… Une fois, on a dû repeindre une chambre d’hôtel parce que l’artiste voulait une couleur particulière sur les murs. On est, dans la mesure de la légalité évidemment, obligé de les satisfaire. S’ils ne sont pas dans un état d’esprit optimal au moment de monter sur scène, ils ne donneront pas le meilleur d’eux-mêmes.