Dans le cadre de son traditionnel “Wikenn Kiltirèl” qui a lieu du 4 au 23 février, Mas Ka Klé, l’association culturelle bien connue dans le milieu du carnaval guadeloupéen, organise une exposition intitulée “20 lanné Mas’Aksyon, Trasé Chimen” au Pavillon de la Ville à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). La scénographie a été réalisée par le plasticien Joël Nankin selon son concept dénommé “Lakou Art”.
En arrivant devant le Pavillon de la Ville situé sur la Place de la Victoire, le visiteur voit que l’association culturelle Mas Ka Klé y a élu domicile. Plusieurs anciennes banderoles de manifestations organisées au cours des années passées sont attachées sur les grilles extérieures. Devant le bâtiment sont disposés des mannequins avec des robes de couleur blanche ou bleu clair, des perruques de couleurs fluos et une croix en bois autour du cou: ce sont des “Mas a Lespri”. Une pancarte “Si tras a mas la” lui indique le début de l’exposition. Il traverse alors un rideau qui lui montre qu’il pénètre dans le “lakou” (mot créole qui signifie “cour”, en français) de Mas Ka Klé. D’autres anciennes banderoles sont aussi disposées le long du “couloir” ainsi que quelques photos.
Le visiteur est accueilli par le centaure puis par deux mannequins dont l’un portant le costume “Wanni Wannan” ainsi que par une affiche explicative sur le concept “Lakou Art”; il y lit que le “lakou” est “un lieu historique où se réfugiaient jadis les esclaves en fuite (…) c’est dans ce lieu mythique que prend naissance notre musique, le “Saint-Jean” (…) L’entraide, le partage, la solidarité primaient sans oublier la jalousie et la trahison (…) l’éducation des enfants se faisait aussi bien par les parents que par les voisins (…) les rencontres et les échanges étaient de mise, sans oublier les traditions artistiques comme les jeux, la danse, la musique ainsi que les traditions culinaires (…)”.
Vingt années de Mas exposées
Une fois à l’intérieur de la salle, le visiteur est, tout de suite, plongé dans l’ambiance du “Mas” d’après le groupe Mas Ka Klé. Symboliquement, il y a plusieurs noms de quartiers de l’agglomération pointoise dans l’exposition tels que “Assainissement”, “Bergevin”, “Savann Tico”, “Fond Laugier”, des lieux où passent les défilés.
Le Carnaval débute dans le quartier du Bas-du-Fort au Gosier où a lieu chaque 1er janvier le fameux “ben démaré” dans la mer. Il y a des panneaux sur la genèse de l’association et de son groupe carnavalesque, le règlement intérieur, les symboliques dans les “groupes à peau” (drapeau, timbale, fouet, encens). Il y a des centaines de photos en couleur retraçant les vingt années de carnaval du groupe. Différents costumes réalisés avec des matériaux naturels ou recyclés et portés lors des précédents défilés sont placés çà et là ainsi que des fouets, des calebasses, des “kwi” (bol fabriqué avec la calebasse), un transistor à piles, un “karo” pour repasser le linge, une cafetière, un réchaud à pétrole, en résumé, des objets que l’on trouvait dans les cases d’antan. La bassine contenant du “gwo siwo” (gros sirop) fait à base de canne à sucre avec lequel les “carnavaliers” s’enduisent le corps n’a pas été oubliée. Cette partie du circuit se termine à Fond Laugier, un quartier populaire où les groupes à peau font souvent une pause durant le défilé…
Joël Nankin, le concepteur du “Lakou Art”
En continuant le circuit, le visiteur traverse un rideau de tissu noir: il entre dans un coin sombre dédié au “gadèd zafè” (voyant-sorcier) avec une bougie blanche dans une assiette blanche, un crâne de boeuf, des têtes de mort, des herbes dans des bouteilles, une odeur d’encens… Après, le visiteur arrive dans un espace plus lumineux – le marché – avec des tambours et des tas de photos de concerts de Mas Ka Klé.
Joël Nankin est le scénographe de l’exposition intitulée “20 lanné Mas’Aksyon, Trasé Chimen” qui a été conçue d’après le concept “Lakou Art” inventé par le célèbre plasticien guadeloupéen. “J’avais déjà travaillé sur ce concept dans mes expositions et, un jour, Jean-Michel Samba, le président de Mas Ka Klé, qui réfléchissait aussi sur ce thème, m’a demandé de collaborer avec son association. Avant cette exposition, j’avais déjà eu l’occasion de travailler avec Mas Ka Klé sur le concept “Lakou Art”, déclare-t-il.
Cependant, l’une des difficultés a été l’impossibilité d’utiliser des punaises ou de clous pour fixer des choses aux murs vu que le Pavillon de la Ville est un bâtiment classé par les Monuments Historiques. Pour ce faire, l’artiste s’est servi de palettes, de beaucoup de palettes qui ont été récupérées sur le port de Jarry : “je ne peux pas dire combien de palettes il y a exactement dans cette exposition mais je sais que j’en ai transporté beaucoup”, dit-il.
Le “lakou”, lieu d’expression du génie populaire
Au total, c’est une équipe de six personnes, Joël Nankin et cinq membres de l’association Mas Ka Klé, qui a travaillé pendant cinq jours et jusqu’à 2h00 du matin le lundi 4 février dernier pour que tout soit prêt puisque le vernissage avait lieu le même jour à 19h30.
“On ne rentre pas directement dans la salle d’exposition, on passe une porte et on doit suivre un chemin pour arriver dans le “lakou”, explique l’artiste. “Quand j’étais jeune, il y avait des “lakou“, c’était souvent plusieurs cases et au milieu, généralement, se trouvait cette cour. Autour de Pointe-à-Pitre, par exemple, il y avait plusieurs “lakou” qui portaient souvent le nom de la première personne qui s’était installée à cet endroit comme “Lakou Mombruno”, “Lakou Raspail” etc. C’est sûrement dans cet espace, le “lakou”, qu’ont été inventés le riz et les haricots rouges, le riz et les lentilles par exemple, bref, l’idée de mélanger ces ingrédients alors que dans les pays d’où ils proviennent on ne les mélange pas… C’est aussi cela le génie populaire (…) Il y a aussi des “lakou” en Haïti”, poursuit-il. Concernant le grand nombre de photos, le scénographe s’est inspiré des pages de journaux qui tapissaient souvent les cases : “certaines sont déchirées comme c’était parfois le cas et cela crée une espèce de patchwork”, déclare-t-il.
De nombreux invités étaient présents lors du vernissage de l’exposition et de la célébration du 20e anniversaire de Mas Ka Klé. Si les plus âgés qui ont certainement connu les “lakou” ont regardé avec beaucoup d’intérêt la mise en scène réalisée par Joël Nankin, les écoliers qui visiteront cette exposition découvriront des aspects de la société guadeloupéenne qu’ils ignorent.