Du 15 au 22 décembre 2023, Patricia Lollia présente une quarantaine d’œuvres (peintures et sculptures) au Pavillon de la Ville à Pointe-à-Pitre. « La Pli Bèl Anba La Bay » est le nom de cette belle exposition préparée par la plasticienne autodidacte qui est une adepte du recyclage et qui a commencé sa carrière artistique en 2019.
Kariculture : Combien d’expositions avez-vous déjà fait? Vous êtes une jeune artiste, toute fraîche… (Rires)
Patricia Lollia : (Rires) Je ne sais plus parce que, entre les expos personnelles et les expos collectives, peut-être qu’on peut dire que j’en suis à une dizaine…
Kariculture : Combien d’expositions personnelles?
P. L. : Au Pavillon de la Ville, il y a eu l’exposition “Sé dèyè bwa ki ni bwa”, cette année c’est “La pli bèl anba la bay”, j’ai exposé à The Factory en solo, j’ai exposé également seule à l’Art Ruche, donc je pense que j’ai fait 4 expos solo, le reste ce sont des expositions collectives, il y a en plus les expositions en ligne qui avaient été organisées dans le cadre de la Pool Art Fair lorsqu’il y a eu le Covid, Thierry Alet avait eu l’idée de faire les premières éditions en ligne. Il y a les Pool Art Fair, ma première c’est celle de 2019, et celle de cette année qui était vraiment formidable parce que nous étions à peu près 80 artistes (…) dont beaucoup de jeunes artistes émergents (…).
Kariculture : Cela fait beaucoup d’expositions pour une “jeune” artiste, entre guillemets…
P. L. : Pourquoi « entre guillemets » ? (Rires)
Kariculture : (Rires) Il doit y avoir un bouillonnement dans votre tête, d’où prenez-vous toutes ces idées, toute cette inspiration?
P. L. : Il y a effectivement un bouillonnement…
Kariculture : Vous ne dormez pas la nuit?
P. L. : Voilà, je ne dors pas souvent la nuit, je dors très peu.
Kariculture : Votre mari va demander le divorce, si cela continue… (rires)
P. L. : (Rires) Je dors souvent dans la chambre d’à-côté pour ne pas le réveiller…
Kariculture : Donc, vous vous levez en catimini parce que vous avez une idée?
P. L. : Et même pour mes textes, je les travaille la nuit, je vais les déposer tout de suite sur le papier parce que parfois au réveil, je n’ai plus ce que j’avais réfléchi… Je travaille énormément. Le souci, c’est que je n’ai pas d’atelier, jusqu’à maintenant, je squattais la bibliothèque de la maison. Les sculptures prennent de la place, je vais essayer de me créer un atelier pour pouvoir vraiment m’exprimer, je pense.
Kariculture : On voit qu’il y a beaucoup de couleurs, c’est voulu, c’est une façon de montrer aux gens que le Covid est passé, que les années sombres que l’on a connues sont presque oubliées, presque derrière nous (parce qu’on ne sait jamais)? Vous voulez faire oublier les mauvais souvenirs?
P. L. : J’adore déjà la couleur, je pense que la couleur c’est la vie, c’est l’espoir, c’est aussi la liberté donc je pense que c’est important de s’entourer de cette multitude, cette explosion de couleurs mais n’empêche que j’ai toute une série de que j’ai appelée “En clair obscur”, je fais du brûlage au chalumeau…
Kariculture : La pyrogravure…
P. L. : Je fais toujours la pyrogravure, en couleur ou en clair obscur, ce n’est pas que de la peinture, il y a diverses techniques qui sont utilisées. Mes oeuvres en clair obscur, je trouve aussi que c’est une autre face du travail que je peux proposer. C’est toujours la vie parce que c’est toujours cette réflexion sur les relations sur l’homme, sur l’humain, sur l’humanité…
Kariculture : Votre travail est très axé sur le recyclage, vous avez été la première à aller dans les maisons brûlées de Pointe-à-Pitre à la recherche de bois, de planches pour en faire des oeuvres, vous ramassez aussi le bois flotté sur les rivages de Sainte-Anne et du Gosier ou d’ailleurs et maintenant vous vous êtes attaquée aux banderoles publicitaires. Comment cette idée vous est-elle venue?
P. L. : Comme je circule en voiture, je vois souvent ces banderoles qui sont complètement détachées, et surtout ça pollue notre environnement, les événements qu’elles annonçaient et la publicité sont déjà passés depuis longtemps et, malgré cela, ces banderoles ne sont pas retirées et au contraire, elles sont de plus en plus nombreuses. Donc un jour, j’ai eu l’idée de récupérer une des banderoles, je me suis dit que c’est une toile tout simplement donc je peux peindre dessus et, depuis, je réalise des oeuvres sur ce nouveau médium.
Kariculture : Vous en avez combien ici?
P. L. : Ici, il y en a deux, ces deux-là aussi…
Kariculture : Il y a en plusieurs…
P. L. : Vous avez aussi celle-là… Cette oeuvre-là, je l’ai réalisée comme première de couverture pour le livre d’Eroll Nuissier et Patricia Lépine “Irma mon amour”, c’est sur une banderole publicitaire (…). Je n’avais pas lu le livre, j’ai travaillé à partir des éléments donnés par les auteurs (…).
Kariculture : Vous innovez tout le temps?
P. L. : Voilà (…) C’était une première expérience vraiment formidable, je crois qu’il faut à chaque fois relever des défis et ne pas se dire : “je n’ai pas encore fait cela, je ne le fais pas”. Non, pourquoi pas? Je tente, j’essaye (…).
Kariculture : Le recyclage a une grande importance pour vous? Vous soulagez la nature?
P. L. : On le voit de plus en plus avec tous les phénomènes climatiques… On se soulage nous-mêmes. Pour vivre sainement, on ne peut plus rester dans ces déchets, dans ces ordures et dans ce gaspillage.
Kariculture : Vous magnifiez ces déchets?
P. L. : Je leur donne une seconde vie.
Kariculture : Chaque œuvre ici – il y a des tableaux, il y a des sculptures – a une histoire…
P. L. : Mon concept, c’est une œuvre, une histoire. Lorsque je réalise une œuvre, j’écris l’histoire. Il faut que je dise que c’est l’idée de ma fille, l’autre jour, elle m’en a fait le reproche ; en fait, quand j’ai commencé, elle m’a dit : “il faut que tu écrives l’histoire “. Au départ, je n’ai pas bien compris ce qu’elle me disait, je pensais que je devais écrire mon histoire, mon parcours dans les arts visuels. Elle m’a dit : “non, non, quand tu réalises une œuvres, tu écris l’histoire de l’œuvre”. Et c’est vrai que maintenant, je le fais et le travail d’écriture complète le travail pictural et donne encore davantage de vie aux personnages que je crée ; ils racontent leur histoire et l’on retrouve les émotions, les sentiments, les idées, souvent des messages à travers ces histoires humoristiques, sarcastiques, parfois cyniques, mais c’est aussi la vie.
Kariculture : Vous êtes une « jeune » artiste, entre guillemets…
P. L. : (Rires) Pourquoi entre guillemets?
Kariculture : Quand vous regardez derrière vous, même si ce ne sont pas beaucoup d’années mais c’est quand même votre carrière, est-ce que vous voyez que vous avez fait des progrès?
P. L. : Oui, je le vois. Je vois l’évolution. Je me dis: ce n’est pas croyable, des premiers tableaux, des premiers essais… Je n’avais jamais exposé ces deux toiles, ce sont mes premiers tableaux, c’est pour cela que j’ai mis « collection privée »…
Kariculture : Cela ressemble à du Modigliani avec le nez…
P. L. : (Rires) Oui, et la tête inclinée… Donc, j’ai osé, je les ai présentés. Je vois l’évolution.
Kariculture : Vous avez de plus en plus confiance en vous? On peut faire beaucoup de toiles chez soi et ne pas les montrer parce qu’on n’a pas confiance, on a peur du regard de l’autre…
P. L. : Moi, je dis que : “exposer, c’est forcément s’exposer” et pour le faire, il faut vraiment être prêt parce que là, on est aux critiques, qu’elles soient positives ou négatives, il faut pouvoir entendre ce que le public ressent, reçoit. De toute façon, dans son travail, c’est important parce que l’artiste quand il travaille, il est seul avec lui-même mais ce n’est pas un dialogue de l’entre-soi, c’est forcément quelque chose que l’on offre à voir donc ces échanges avec le public sont importants. Le public qui me suit depuis longtemps voit aussi cette progression et souvent, les gens n’en reviennent pas, ils se disent : “ce n’est pas possible, qu’est-ce qui se passe ?” (rires)…
Kariculture : Elle nous cachait ses talents…
P. L. : Ça explose, ça explose… C’est vrai que souvent je n’en dors pas la nuit, les idées sont là, matériellement ce n’est pas tout suite possible…
Kariculture : Combien d’oeuvres avez-vous ici?
P. L. : Il y en a une quarantaine.
Kariculture : Combien de temps avez-vous pris pour faire les sculptures et les toiles?
P. L. : Je travaille vite parce que je travaille beaucoup. Parfois, je me dis : “Patricia, kaw ka fè-la?* Tu es à la retraite, normalement tu aurais dû te reposer”… C’est vrai que c’est épuisant (…) En fait, ce que je fais, cela me procure personnellement beaucoup de plaisir et je pense qu’il faut en prendre du plaisir. Moi, je ne vis pas de mon art, je n’ai pas cette pression comme “il me faut vendre à tout prix”. J’ai cette liberté, si les gens achètent, cela me fait énormément plaisir parce que je sais que l’oeuvre va vivre ailleurs, elle sera vue, elle va poursuivre son chemin (…). On crée mais on ne crée pas pour soi, c’est un partage, c’est une histoire qui commence avec l’artiste et qui se poursuit avec celui qui en fait l’acquisition et qui l’offre encore au regard à d’autres. C’est cela pour moi, l’art.
*Patricia, que fais-tu?