Après une trentaine d’années dans la musique, une quinzaine d’albums, plusieurs singles et une distinction de “Meilleur album de l’année” aux Haitian Music Awards en 1996, Michel Martelly alias “Sweet Micky” est actuellement dans la tourmente. Les détracteurs de l’ex-président de la République d’Haïti lui reprochent sa misogynie, un comportement “dépravé” en tant qu’artiste mais aussi d’être responsable du chaos dans lequel se trouve le pays avec notamment l’explosion du phénomène de gangs. Résultat: des annulations en cascade pour les concerts du chanteur de “kompa direct” suite à une forte mobilisation des Haïtiens vivant à l’étranger.
Après avoir dirigé la première République noire entre 2011 et 2016, le 56e président d’Haïti avait repris son métier d’artiste et comptait sûrement sur sa notoriété renforcée de chef d’État pour poursuivre sa carrière. Mais, l’épidémie de Covid-19 qui a éclaté début 2020 est venue figer le monde, les grands rassemblements étant interdits, tous les concerts de musique Compas de “Sweet Micky” ont été annulés. Par ailleurs, Haïti s’enfonçait chaque jour davantage dans un marasme avec notamment des enlèvements et des meurtres d’otages par des gangs sans foi ni loi, cette vague de violence ayant culminé avec l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021 après quatre années passées au pouvoir.
Aujourd’hui, c’est la reprise un peu partout et pour beaucoup d’artistes après cette forte flambée du Covid-19 mais les choses ne se passent pas comme prévu pour Michel Martelly qui voit tous ses grands spectacles passer à la trappe.
En effet, le bal du 2 juillet dernier qui devait avoir lieu au Perfect Place Hall à Brockton dans le Massachusetts aux États-Unis, à l’occasion de l’Indépendance américaine, a été annulé. Le propriétaire de la salle, candidat aux élections (State Représentative), a fait cette annonce. Selon ses détracteurs, l’ancien Président serait l’un des principaux chefs de gang en Haïti et ils ont également adressé une lettre au maire de la ville, Robert F. Sullivan, lui demandant de le déclarer “persona non grata”.
Un bal en cachette en région parisienne
Le 10 juin dernier, “Sweet Micky” devait se produire à l’Espace Venise à Sarcelles, ville située dans le département du Val-d’Oise et la région d’Île-de-France, mais l’événement a été annulé sous la pression de plusieurs associations. Le chanteur a été accusé de salir l’image de la femme et même de faire l’apologie du viol avec comme preuves des vidéos de ses prestations sur scène et des coupures de presse. Il a même été question que ce concert se transforme en bagarre généralisée s’il avait lieu. Face à cette menace de trouble à l’ordre public, le maire Patrick Haddad, après avoir consulté la préfecture et la police, a donc décidé de déclarer Michel Martelly “persona non grata” à Sarcelles et, par arrêté, il lui a interdit de chanter dans sa ville.
Cependant, le 18 juin dernier, l’artiste – avec ses deux fils (Yani et Dro) – a pu donner un concert à Paris mais il est impossible d’identifier cette boîte de nuit dans la vidéo publiée sur sa page Facebook. Selon un fan, l’adresse publiée sur l’affiche correspondait à un parking où un bus récupérait les participants pour les conduire dans ce lieu secret.
Juste avant cette déconvenue, le 18 mai dernier, “Tèt Kalé” (autre surnom de l’artiste) et ses musiciens n’avaient pas obtenu l’autorisation de performer sur scène au “Best of Haïti Music Fest” à Little Haiti. Le maire de Miami, Francis Suarez, n’a souhaité aucun débordement violent dans sa ville à cause de ressortissants haïtiens en colère qui refusaient la participation de Michel Martelly à l’événement culturel organisé dans le cadre de la Fête du Drapeau.
Une chanson en guise de réponse à ses détracteurs
Le spectacle du 26 novembre 2021 au Bentley’s à Brooklyn, New York, appelé “Black Friday”, avait été annulé par “Sweet Micky” (son surnom mais aussi le nom de son groupe). Un autre rendez-vous avait été fixé par le groupe au 14 janvier 2022 au même endroit.
“(…) Mwen di wòch, wòch pa voyé, Mwen di dwèt-la pa lonjé-l, Moun ki senti li pawfè, voyé prèmyé koud wòch-la (…)” (Je dis, les pierres, les pierres ne les lancez pas, Je dis le doigt ne le pointez pas, Que celui qui se sente parfait lance la première pierre), avait chanté Michel Martelly en créole, vêtu de blanc sur scène mais avec un T-shirt sur lequel était écrit “I don’t Care” (Je m’en moque) et accompagné de ses musiciens devant ses fans qui dansaient.
Le 14 mai 2021, c’est en République dominicaine que l’ex-chef d’État haïtien n’était pas le bienvenu, à l’annonce de son concert au Hard Rock Café Santo Domingo. Plusieurs organisations politiques et autres avaient alors publié un communiqué daté du 13 mai 2021 déclarant : “Mr Martelly, au lieu d’être dans un café, continuant son spectacle dépravé, de mauvais goût et misogyne devrait être sur un banc des accusés à la Cour pénale internationale”. Cependant, le concert où étaient attendus des personnalités haïtiennes et des amis du chanteur et musicien avait bien eu lieu. Depuis, Michel Martelly est revenu se produire en République Dominicaine…
Des activistes déterminés
Dans une lettre adressée à l’ancien maire de New York Bill de Blasio, le 20 août 2019, des activistes haïtiano-américains avaient demandé le bannissement de Michel Martelly de la West Indian Parade organisée dans le cadre du Labor Day (Fête du Travail). Ils avaient dénoncé la chanson intitulée “Ba’l bannann nan” (Donnez-lui des bananes dans…) écrite par “Sweet Micky” en 2016 qui inciterait le public à insérer divers objets dans les parties intimes de Liliane Pierre-Paul ; cette journaliste – lauréate du prix Courage en journalisme 1990, décerné par la International Women’s Media Foundation, et victime de la torture sous le régime Duvalier – s’interrogeait sur la gestion des affaires du pays par Michel Martelly.
En outre, ces activistes reprochaient à l’ex chef d’État son soutien appuyé à OJ Simpson, l’ancienne star de football américain, connu pour avoir été accusé du meurtre de sa femme et d’un homme se trouvant avec elle.
Selon eux, en 2018, à un spectateur l’interrogeant sur les fonds PetroCaribe, l’artiste lui aurait répondu avoir caché cet argent entre les cuisses de son épouse…
Notons qu’en août 2019, Michel Martelly et son groupe avaient pu se produire sans incident au Festival des Arts de la Caraïbe (CARIFESTA) qui était organisé à Trinidad et Tobago.
“Sweet Micky”, un misogyne notoire ?
Cependant, ce rejet de l’homme Michel Martelly a commencé à prendre de l’ampleur, il y a plus de trois ans au Canada. En effet, le 22 mars 2019, “Sweet Micky” avait déjà dû annuler son concert qui devait se tenir à l’hôtel Plaza Centre-Ville à Montréal. Qualifié de “misogyne notoire” aujourd’hui, celui qui s’était produit dans la ville, notamment en 1994 au Métropolis, n’était plus le bienvenu. Cette fois-ci, des Haïtiens installés au Canada – en particulier des femmes réunies au sein de plusieurs associations luttant contre les violences sexuelles – avaient fortement protesté contre la venue de l’ex-Président à cause des propos qu’il aurait tenus sur le viol des femmes mais aussi – comme la politique n’est jamais trop loin – parce qu’il aurait accédé à la présidence de manière frauduleuse et aurait dilapidé les caisses de l’État haïtien. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait déclaré avoir demandé à Ottawa qui gère les frontières canadiennes de bien étudier le cas de Michel Martelly et, officiellement, l’artiste et ses musiciens étaient restés coincés à Miami pour des problèmes de visa.
Précisons que le groupe “Sweet Micky” avait été exclu du carnaval des Gonaïves et Jacmel en Haïti en 2018, ces deux municipalités voulant protéger ce patrimoine et ne pas en faire un moment de débauche, de violence, de vengeance etc.
Une retraite prématurée?
Toutes ces annulations de grands concerts représentent beaucoup d’argent qui n’est pas gagné par l’artiste. Combien de temps ses musiciens tiendront-ils le coup dans cette ambiance pesante? “Sweet Micky” va-t-il continuer à performer en cachette afin de ne pas s’attirer les foudres de ces Haïtiens de la diaspora qui l’accusent de tous les maux? Les bals qu’il réussit à organiser en cachette sont-ils rentables? Michel Martelly sera-t-il contraint de prendre sa retraite en tant qu’artiste? Quelle est, finalement, la place de la liberté d’expression de l’artiste dans cette affaire?
En Guadeloupe et en Martinique, deux îles françaises caribéennes, berceau du Zouk, mais où le Compas haïtien reste très apprécié, aucun concert de Michel Martelly n’est annoncé pour le moment. On se souvient qu’avant et après son mandat de président de la République, “Sweet Micky” avaient à chaque fois mis le feu sur scène devant une foule en délire. Quelle serait la réaction des Guadeloupéens, Martiniquais et surtout celle des ressortissants haïtiens si l’ex-Président et son groupe revenaient pour de nouveaux spectacles?