Il y a 60 ans disparaissait René Maran, premier écrivain noir lauréat du prix Goncourt

René Maran en 1923

Rédigé par Éric Amiens (journaliste)

Avec “Batouala”, véritable “roman nègre”, le Guyanais, René Maran obtient en 1921 le prestigieux prix Goncourt. Celui qui est considéré comme l’un des précurseurs de la négritude et qui a inspiré les auteurs comme Léon Gontran Damas, Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor, s’est éteint le 9 mai 1960 à Paris.

Élève brillant, après des études de droit et une formation à l’École coloniale, René Maran est nommé en 1912 administrateur des colonies en Oubangui-Chari, l’actuelle République centrafricaine. Sur les terres africaines, le jeune Guyanais découvre les conditions de vie difficile des colonisés. C’est une situation insupportable pour lui alors il décide de prendre sa plume pour écrire le roman intitulé Batoualadans lequel il fait parler un vieux chef banda.

Dans la préface de Batoualaqui obtient le prestigieux prix Goncourt en 1921, le Guyanais dénonce l’attitude et les abus de l’administration coloniale auprès des peuples d’Afrique, les rapports conflictuels, le racisme blancs/noirs. L’écrivain accuse la civilisation européenne de “bâtir son royaume sur des cadavres”. Lors de sa parution, “Batouala” fait la une des journaux parisiens. L’administration coloniale n’apprécie guère les propos de René Maran. Son livre est interdit en Afrique et fait éclater un scandale en France.

René Maran est obligé de démissionner. L’écrivain qui avait conclu la préface de son roman par une citation de Verlaine Maintenant, va, mon livre, où le hasard te mène”, déclare : “Quand j’ai écrit “Batouala”, j’ai voulu montrer l’Afrique telle que je la voyais. On a contesté avec âpreté et méchanceté tout ce que j’avais dit et, pour démontrer que je m’étais trompé, on a étudié ce que j’avais vu. On a été obligé de dire que je disais la vérité (…)”.

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Un humaniste, précurseur de la négritude

De retour à Paris, l’écrivain guyanais se consacre à la littérature et au journalisme. Il fréquente régulièrement le salon littéraire de Paulette Nardal à Clamart. C’est lors de ces rendez-vous qu’il croisera les piliers du mouvement de la négritude comme le Sénégalais, Léopold Senghor, le Martiniquais Aimé Césaire, le Guyanais Léon Gontran Damas ou encore l’Haïtien, Jean Price Mars. Maran avait écrit dans “Batouala”: “il n’y a ni bandas ni mandjias, ni blancs ni nègres – il n’y que des hommes – et tous les hommes sont frères”.

L’auteur prolifique publie “Le Cœur serré” (1931), un roman autobiographique sur les difficultés d’un jeune homme déraciné. Ses romans et ses nouvelles ont souvent pour thème l’Afrique : “Asepsie noire!” (1931), Le livre de la brousse” (1934), Livingstone et l’exploration de l’Afrique” (1938), “1941: Brazza et la Fondation de l’A.E.F” (1941), Un homme pareil aux autres” (1947).

L’écrivain reçoit de nombreux prix pour ses œuvres comme le prix Broguette-Gonin de l’Académie Française, le prix des Gens de Lettres, le prix de l’Outre-mer ainsi que le prix de la Poésie de l’Académie Française. L’un de ses derniers ouvrages publiés est une biographie de son compatriote Félix Éboué (1884-1944), “Grand Commis et Loyal Serviteur” (1957). René Maran y retrace l’itinéraire et la personnalité de son grand ami qu’il a rencontré durant ses études à Bordeaux, une amitié sincère et complice.

René Maran 1930
René Maran en 1930

Un lauréat du prix Goncourt injustement oublié

Dans un article intitulé “Félix Éboué, gouverneur nègre du Front Populaire à la Guadeloupe”*, l’historien guadeloupéen René Bélénus écrit : “En apprenant la nouvelle (prix Goncourt) Éboué fait part de sa grande satisfaction de voir mis à jour ce rude réquisitoire contre l’action de l’administration française en AEF qui déchaîne le lobby colonial. Il devait en faire durablement les frais car, aux yeux de ses supérieurs, il en est le véritable inspirateur. Dix ans après la publication de “Batouala”, il (Félix Éboué) écrit à René Maran : “Je ne regrette rien, je n’en veux pas aux administrateurs de la commission de classement de m’avoir écarté à cause de Batouala”.

René Maran, qui est né le 5 novembre 1887 sur le bateau qui amenait ses parents d’origine guyanaise à Fort-de-France, décède à Paris en 1960. Le prix Goncourt n’a pas empêché René Maran de sombrer dans l’oubli. Il serait noble que les Caribéens, les Guyanais en particulier, et les Africains se réapproprient et mettent en valeur les nombreux chefs d’œuvres littéraires racontant leurs histoires.

*Ouvrage collectif: Construire l’histoire antillaise, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS)