On le croise tous les jours dans les rues du chef-lieu de la Guadeloupe. Les enfants comme les adultes le connaissent. Il est calme, souriant et ouvert à la discussion. Il s’agit de Jean-Pierre Fronton alias “Jipé Fronton”, connu surtout en tant qu’artiste plasticien mais, comme nous le verrons, l’homme possède de multiples occupations qu’il exerce avec talent.
Jean-Pierre n’a que 8 ans quand il reçoit l’appel de la peinture. “La première chose que j’ai peinte a été une noix de coco. On était allé voir le cousin de mon père qui était pêcheur, il y avait chez lui des pots de peinture alors j’ai pris une noix de coco, j’y ai dessiné la carte de la Guadeloupe avec la Basse-Terre, toute la montagne sans oublier le volcan de La Soufrière et la Grande-Terre avec un bonhomme assis sous un cocotier, la mer, une bouteille de rhum qui flotte dans l’eau…”, se souvient-il. Mais, jamais Jean-Pierre n’imagine, à ce moment-là, que la pratique de cet art fera partie de sa vie d’adulte.
À Basse-Terre où il est élevé entouré de ses parents et de ses frères et soeurs, il a une scolarité tout-à-fait classique qu’il poursuivra en France hexagonale où, en 1973, toute sa famille s’installe. Cependant, le besoin de créer, le goût de l’esthétisme, du travail manuel demeurent présents en lui : “J’ai d’abord suivi une formation de ferronnerie d’art à Strasbourg, je faisais par exemple des balcons du style Louis XIV (…)”, dit-il. Jean-Pierre pense toujours à son île natale alors il y retourne régulièrement pour “se recharger les batteries”. En 1976, un mois après l’entrée en éruption du volcan de La Soufrière qui provoque le déplacement de milliers d’habitants du sud de l’île de la Basse-Terre (ce qui est communément appelé les événements de La Soufrière), Jean-Pierre revient sur sa terre…
Une quête identitaire
Dans les années 1980, le jeune homme décide de rentrer au pays et de créer son entreprise dans le secteur de la ferronnerie. Sa nouvelle vie ne dure que trois ans car il finit par suivre sa petite amie de l’époque qui choisit de partir dans l’Hexagone. Il dépose ses valises à Nantes. “Cette ville étant connue pour son passé dans la traite négrière, j’ai commencé à me poser des questions sur moi, sur mon métissage. En effet, ma grand-mère maternelle était une métisse vietnamo-cambodgienne. Mon père, originaire de la commune de Bouillante est un descendant des Caraïbes, il avait rencontré ma mère au Vietnam lors de la guerre. Quant au père de ma mère, il était Martiniquais. Je réfléchissais beaucoup notamment sur le fait qu’aux Antilles françaises, on empêchait aux enfants de parler le créole, on nous apprenait à l’école que nos ancêtres étaient des Gaulois etc.”
C’est lors d’une de ses introspections, de sa quête identitaire que Jean-Pierre prend la décision de s’exprimer sur des toiles : “Un dimanche à Nantes, je pensais aux Antilles, j’étais assis dans le salon et mes yeux se sont posés sur la fameuse noix de coco que j’avais peinte à l’âge de 8 ans qui se trouvait près de la télé. Je l’avais gardée depuis toutes ces années et elle m’accompagnait partout. J’ai alors décidé de me remettre à la peinture”.
À l’époque, le jeune Guadeloupéen travaille dans le spectacle, un milieu où il est arrivé par hasard. En effet, c’est alors qu’il se trouve avec un copain dans un bar à Rouen que deux directeurs – l’un dans l’événementiel et l’autre à la tête d’un centre de formation dénommé ARTS (Agence régionale des techniques du spectacle) devenu depuis STAFF (Spectacles et Techniques, Association Française de Formation) – assis non loin d’eux, leur demandent s’ils veulent travailler dans le spectacle et leur remettent leurs coordonnées.“Je suis allé au rendez-vous. J’ai tout appris sur place, je suis devenu éclairagiste, machiniste et technicien du son (…), dit-il.
L’artiste plasticien “Jipé” est né
En France, grâce à sa formation d’agent technique du spectacle puis d’électricien, entre 1989 et 2003, Jean-Pierre collabore à de nombreux festivals (Festival de la Mer à Saint-Nazaire ; Festival de la Gournerie à Saint-Herblain ; Festival Tropical à La Baule ; Festival des Allumés, Festival Reggae Night et Festival Fin de Siècle à Nantes ; Festival de Théâtre à Lille etc.) et travaille dans divers lieux culturels comme le Théâtre Onyx de Nantes, la Salle de l’Olympique de Nantes, La Coursive Scène nationale de La Rochelle…
Parallèlement, Jean-Pierre Fronton entame, avons-nous dit, une carrière d’artiste peintre sous le pseudonyme de Jipé Fronton : “J’ai réalisé mon premier tableau en 1993… Quand j’ai eu une dizaine de tableaux, un copain métropolitain – Christophe Maisonneuve – m’a fait remarquer que je pouvais faire une exposition, de mon côté, je pensais qu’il en fallait beaucoup plus. Puis un jour, accompagné d’une de ses amis, ils m’ont dit : “Nous t’avons inscrit à une expo”. J’y suis allé et je dois avouer que j’ai été agréablement surpris par les commentaires du public. La presse avait qualifié mon travail de “peinture imagée et colorée”. Pour moi, ma peinture faisait partie de l’expressionnisme, de l’impressionnisme, du symbolisme. J’avais signé mes oeuvres de mon nom, Jean-Pierre Fronton, mais un journaliste avait mal écrit mon prénom, il m’avait appelé “Jipé” alors j’ai adopté ce pseudonyme“, raconte-t-il.
À partir de cette date, l’artiste présente régulièrement son travail au public : aujourd’hui, il a organisé ou participé à d’une quarantaine d’expositions dans la région Pays de la Loire (notamment au 1er Salon international de Peinture-Sculpture Nantes Façade Atlantique où il reçoit le Diplôme d’Honneur pour sa toile “Île Romantique”) puis en Guadeloupe ; pour ses oeuvres, il a obtenu d’autres distinctions comme le diplôme et la médaille du Salon GANFA à Nantes, la médaille de bronze sculpture-peinture de la Fédération nationale des Beaux-Arts de Nantes ou la médaille de la ville de Basse-Terre…).
Suite à ses voyages en Espagne en 2015 où il visite les musées Picasso, Dali et Miro et à son voyage à Cuba en 2016, Jipé Fronton expérimente, maintenant, le fauvisme et le cubisme.
Une boulimie artistique
Étant sur tous les fronts et effectuant des allées et venues entre son île natale et la France, à partir de 1997, il exerce ses compétences de régisseur lumière notamment à L’Artchipel Scène nationale à Basse-Terre, au Centre des Arts de Pointe-à-Pitre, à l’Auditorium de Basse-Terre lors de différents concerts notamment celui de la chanteuse guadeloupéenne Tanya Saint-Val, il réalise les illuminations de la Maison du Patrimoine, la Maison Chapp, l’Hôtel de ville et la Cathédrale de Basse-Terre…
En 2006, il participe à la création de plusieurs diaporamas sur l’historique de La Route du Rhum, la Traite négrière, le Festival de Théâtre Zabim…
Sa soif de création se poursuit avec un cabaret comique, un spectacle de prose musicale, des pièces de théâtre…
En 2007, il lance le Salon des Créateurs de l’Art “Chèz an nou Bèl” qui se déroule désormais, chaque année, sur la place la mairie de Basse-Terre.
Grâce à son expérience professionnelle et à son titre de Directeur technique des entreprises de spectacle vivant et à son diplôme obtenu à l’Institut supérieur des techniques du spectacle (ISTS) d’Avignon en 2002, en tant qu’intermittent du spectacle, on fait appel à lui pour assurer la fonction de directeur technique dans de nombreuses salles dont l’Auditorium de la capital.
En 2007, Jean-Pierre Fronton intègre en tant qu’agent territorial la mairie de Basse-Terre.
Depuis 2011, l’artiste intervient au collège Richard Samuel de Gourbeyre afin d’initier les jeunes à l’histoire de l’art et de leur présenter son spectacle de prose musicale. Cette même année, il décide de créer une galerie d’art, un administré de Basse-Terre lui prête un local près de la gare routière. La Maison de l’Art naît. En 2014, la mairie du chef-lieu met un espace plus grand à sa disposition à la rue Baudot.
“Ce que je veux pour ma ville de Basse-Terre, c’est de la culture de qualité qui s’adresse au plus grand nombre”, affirme Jipé Fronton.