Si au cours de son intervention télévisée du lundi 13 avril dernier Emmanuel Macron a annoncé la fin progressive du confinement à partir du 11 mai, le Président de la République française a également précisé que “les grands festivals et événements avec un public nombreux ne pourront se tenir au moins jusqu’à mi-juillet”. Depuis, on assiste à des annulations en cascade des festivals prévus sur tout le territoire national avant le 15 juillet.
Dans l’archipel guadeloupéen, les grands festivals notamment musicaux n’ont pas une longue vie. Souvent, ils ne durent que le temps de la mandature des élus politiques qui les ont lancés ou soutenus financièrement. Parmi les festivals “rescapés”, il y a le “Festival Terre de Blues” qui se déroule chaque année sur l’île de Marie-Galante pendant le week-end de la Pentecôte et qui est logiquement concerné par les mesures prises par le Chef de l’État pour stopper cette pandémie mondiale de coronavirus/covid 19.
Programmée du 29 mai au 1er juin 2020, la 21e édition de ce festival marie-galantais – avec des artistes tels que Kery James, Youssou N’dour, La Perfecta, Donald R Johson, Admiral T, Odla, Soft, Elida Ammeida, Dynasti’z, Konvwaka et Were Vana – ne devrait donc pas avoir lieu. Depuis le mois de février, la question quant à l’annulation et au report de l’événement a été plusieurs fois posée sur la page Facebook de Terre de Blues par des futurs participants mais les réponses de l’organisation ont été assez évasives : “On avisera” ou “Dans l’état actuel de la situation mondiale, nous ne pouvons nous prononcer avec certitude, ni dans un sens, ni dans l’autre. Le festival a lieu du 29 mai au 1er juin”. Mais, maintenant les choses sont claires et les organisateurs, parmi eux la Communauté de Communes de Marie-Galante, auraient déjà dû annoncer l’annulation ou le report de l’événement.
Se dirige-t-on vers un nouveau bras de fer entre le Préfet de Guadeloupe (représentant de l’État français) et les élus de Marie-Galante au nom de la sacro-sainte “spécificité locale” pour maintenir ce festival?
Protéger Marie-Galante coûte que coûte
On se souvient que, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, les trois maires de l’île avaient pris, le 17 mars 2020 (date du début du confinement en France), un arrêté interdisant aux navettes d’accoster sur l’île pour ne pas contaminer leurs habitants. De son côté, le Préfet de la Guadeloupe avait saisi le Tribunal Administratif lequel avait annulé cet arrêté pour faire respecter la continuité territoriale mais les bateaux sont restés à quai et des avions ont été affrétés pour relier l’île à Pointe-à-Pitre. Les navettes devraient reprendre leurs rotations après le confinement. La volonté des élus politiques est de protéger coûte que coûte cette petite île de l’archipel des fléaux venant de l’extérieur ce qui semble assez difficile vu que Marie-Galante ne se trouve pas sur une autre planète et qu’elle vit en grande partie du tourisme…
Certains médias avaient donné la parole à des habitants de l’île qui avaient salué cette “fermeture des frontières pour protéger cette terre” mais cette décision – malgré le confinement donc l’impossibilité de se rendre là-bas – avait aussi choqué “une majorité silencieuse” en Guadeloupe, notamment ceux qui se rendent chaque année au Festival. D’après leurs dires, pourquoi seraient-ils des porteurs de cette maladie qui a pris naissance en Chine? Certains ont même déclaré qu’ils ne se rendront pas au Festival Terre de Blues de Marie-Galante cette année puisque leurs billets de banque et leurs cartes bancaires sont également “contaminés”… Cela montre que, dans ce domaine, certaines réactions peuvent blesser la susceptibilité des uns et des autres.
Par ailleurs, on a entendu un “intellectuel” se disant “spécialiste de la Caraïbe” fustiger l’attitude du représentant de l’État en affirmant que les États caribéens avaient eu une “gestion plus territoriale” de cette épidémie de coronavirus en fermant très tôt leurs frontières. Cependant, il a omis de préciser que ces îles sont indépendantes… On connaît maintenant ce genre de refrain consistant à réclamer tout ce dont bénéficie la France hexagonale et à exiger la spécificité quand cela arrange. Durant le carnaval, on chante dans les rues “la lwa fwansé sé pli kouyon” (la loi française est la plus couillonne) et on l’utilise notamment lors de cette crise de covid-19 pour réclamer le même traitement que l’Hexagone… Bref, tout cela fait partie de nos contradictions. Bref, c’est comme vouloir le beurre, l’argent du beurre et l’arrière-train de la crémière. Est-ce pourquoi certains Caribéens appellent les territoires français de la Caraïbe les “Enfants gâtés de la France”?
Précisons que dans la Caraïbe, Porto Rico qui lutte aussi contre le covid-19 avec des mesures drastiques dont un couvre-feu de 19h00 à 5h00 n’a pas interrompu les navettes qui la relient à ses deux petites îles – Vieques et Culebra – celles-ci sont réservées aux résidents…
Quel bilan pour “Terre de Blues” en 20 ans d’existence?
Cette pandémie de coronavirus sonne-t-il le glas du Festival Terre de Blues de Marie-Galante?
Créé en 2000, ce festival s’est d’abord appelé “Créole Blues” avant de devenir “Terre de Blues” en 2005. Pendant des années, beaucoup se demandaient si ce rendez-vous musical allait perdurer car trouver les fonds était un parcours du combattant pour les organisateurs. En 2016, la nouvelle présidence du Conseil Régional de la Guadeloupe est venue prêter main-forte à l’organisation en lui octroyant une subvention de 350 000 euros contre 20 000 euros accordés par l’ancienne présidence. Cette collectivité locale majeure de l’archipel continue d’accompagner financièrement cet événement culturel qui est supposé soutenir l’activité économique notamment touristique (hôtels et gîtes touristiques, restaurants, loueurs de voitures, commerces d’alimentation, navettes maritimes etc.). En 2019, pour son 20e anniversaire, le budget de la manifestation a été de 900 000 euros contre 600 000 euros trois ans plus tôt.
Mais on le sait, après une vingtaine d’années d’existence, le Festival Terre de Blues de Marie-Galante est encore “sous perfusion” puisqu’il est financé principalement par des subventions publiques. Reste à savoir si l’objectif d’accroître la visibilité et l’attractivité de cette île de l’archipel guadeloupéen a vraiment été atteint.
Les experts annoncent une catastrophe économique due à cette pandémie mondiale de covid-19, le Conseil Régional de la Guadeloupe, en charge de l’économie, pourra-t-il continuer à verser des sommes conséquentes au Festival Terre de Blues de Marie-Galante? Quel sort sera réservé à l’un des derniers festivals musicaux de l’archipel guadeloupéen?
Suite à notre article, les organisateurs du “Festival Terre de Blues de Marie-Galante” ont publié, le 16 avril dernier, un communiqué de presse annonçant l’annulation de l’édition 2020