La saison du carnaval 2021 sera plus courte que celle de cette année 2020 – seulement 6 semaines – mais on imagine qu’elle sera intense comme chaque année. Mais, cette manifestation populaire aura-t-elle bien lieu quand on sait qu’un “invité-surprise” nommé Covid-19 a débarqué sur terre à la fin de 2019 et son action principale a été de séparer les êtres humains?
Dans la Caraïbe, on a vu les Îles Vierges des États-Unis annuler leur “carnaval physique” prévu du 03 avril au 04 mai 2020 et le remplacer par un “carnaval virtuel”. On verra si la Jamaïque qui a annulé son “Bacchanal Jamaica” avec son “Road March” qui se déroule la semaine suivant Pâques pour le reporter du 18 au 25 octobre 2020 maintiendra l’événement. Le Gouvernement d’Antigue et Barbude a préféré annuler le carnaval prévu du 25 juillet au 4 août 2020. On verra si Saint-Kitts et Nevis maintiendront la 49e édition de leur “Sugar Mas” programmé entre novembre 2020 et janvier 2021.
En Guadeloupe, les plus optimistes diront qu’il est encore tôt pour penser au carnaval 2021 mais, puisque les carnavaliers répètent qu’ils commencent à préparer leurs costumes et décors un an à l’avance, il est donc normal de s’interroger maintenant sur le sujet.
La pandémie mondiale de coronavirus/covid-19 qui sévit actuellement et qui a déjà fait des milliers de victimes sera-t-elle terminée en janvier 2021, c’est-à-dire dans huit mois? Et même si en Guadeloupe, dans les autres îles de la Caraïbe, en Europe ou ailleurs, le nombre des personnes contaminées et décédées est actuellement en baisse, cela signifie-t-il vraiment que la maladie va totalement disparaître? Pas si sûr, vu que cette nouvelle maladie apparue sur notre planète n’a pas encore livré tous ses secrets aux chercheurs! Ils sont d’ailleurs très nombreux aux quatre coins du globe à étudier ce nouveau coronavirus et surtout à chercher des traitements pour le stopper.
C’est pour quand le vaccin?
Les récentes révélations scientifiques sont plutôt déconcertantes. En effet, une étude menée par des chercheurs de l’Institut national du diabète et des maladies digestives et rénales dans le Maryland (États-Unis) et publiée le 13 mai dernier dans la revue scientifique PNAS, rapporte que parler à haute voix peut représenter 1000 gouttelettes (contaminées) par minute pouvant rester dans l’air durant 8 minutes dans un espace fermé.
Une autre étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Nicosie (Chypre) et publiée le 19 mai dernier dans la revue scientifique Physics of Fluids a annoncé que, si une personne malade tousse en l’absence de vent, les gouttelettes émises ne dépassent pas 1 mètre, mais avec un vent soufflant entre 4 km/h et 15 km/h, ces gouttelettes peuvent être transportées jusqu’à 6 mètres en 6 secondes, autrement dit la distance sociale de 1 ou 2 mètres préconisée entre chaque individu ne serait pas suffisante.
Dans une précédente étude, publiée le 14 avril dernier, des chercheurs de l’Université de Harvard avaient déjà averti qu“une distance intermittente peut être nécessaire jusqu’en 2022, à moins que la capacité de soins intensifs ne soit considérablement accrue ou que le traitement ou le vaccin ne devienne disponible”.
Une autre étude britannique publiée le 09 avril par les chercheurs de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) avait conclu que seuls 10% des malades sont responsables de 80% contaminations. Il aurait donc suffi de les repérer pour ne pas confiner toute une population et éviter la propagation du virus mais la charge virale ne permet pas de détecter ces grands contaminateurs.
Il est encourageant de signaler que, le 20 mai, deux études publiées dans la revue Science et menées par des chercheurs du Beth Israel Deaconess Medical Center (BIDMC), affilié à Harvard, ont démontré que, chez les primates (macaques), les vaccins peuvent empêcher l’infection par le Covid-19 et que les personnes guéries du Covid-19 seront protégées contre une nouvelle exposition au virus.
Cependant, le 24 mai, dans une interview accordée au magazine français Le Point, l’ancienne directrice générale adjointe de l’OMS Marie-Paule Kieny mettait en garde contre les résultats annoncés par les concepteurs de vaccins et les politiques. Celle qui est actuellement membre du Comité analyse recherche et expertise (CARE), ces douze scientifiques qui conseillent le gouvernement français, déclarait : “il n’y a aucune certitude de pouvoir développer à terme un vaccin efficace contre le Sars-CoV-2, malgré les annonces très affirmatives de différents gouvernements à travers le monde. Mais il existe des indices rassurants”. Précisons que la maladie est appelée Covid-19 et le virus qui la provoque est le SARS-CoV-2.
Quels gestes-barrière dans les défilés?
Après avoir pris connaissance de ces conclusions scientifiques et si la situation reste inchangée, aura-t-on envie d’aller parader dans les rues ou voir les autres parader à l’occasion du carnaval? Peut-on vraiment affirmer qu’il y aura une édition du carnaval en 2021 dans l’archipel guadeloupéen?
On rappelle que la saison carnavalesque en Guadeloupe débute dès le 1er janvier par le fameux “ben démaré” de certains “groupes à peau” dans la mer après un défilé dans la région pointoise. Puis d’autres défilés sont organisés tous les week-ends à partir du premier dimanche de janvier dans presque toutes les communes de l’archipel jusqu’au Mardi-Gras.
Certains “accros” au carnaval pourraient promettre aux autorités sanitaires de respecter drastiquement les fameux gestes-barrière.
Premièrement : se laver les mains souvent avec du gel hydro-alcoolique et chacun aurait son flacon personnel ou les groupes auraient plusieurs bidons de gel dans une “voiture suiveuse” dans les défilés. De prime abord très facile, cette mesure serait en fait très compliquée car en plein défilé, dans le feu de l’action, qui aurait le réflexe de se laver les mains?
Deuxièmement : Tousser dans son coude. Même avec de la très bonne volonté, on doute que ce geste destiné à freiner la propagation du virus serait d’une réelle efficacité dans un défilé de carnaval. Que ferait-on des conclusions scientifiques sur la propagation du virus par le vent? Et que ferait-on aussi de la fameuse distanciation sociale ou physique? Sachant que certains groupes comptent 800 à plus de 1 000 personnes, le (1) mètre entre chaque membre donnerait des défilés ayant la tête à Pointe-à-Pitre alors que la queue serait à Basse-Terre ou à Anse-Bertrand! Les quelques petits groupes de carnaval ayant une dizaine de membres prendraient là leur revanche car ils pourraient défiler avec cette distanciation physique sans être ridicules…
Troisièmement : porter le masque. Cette mesure pourrait être facile à appliquer, après tout, pendant le carnaval, cet accessoire est souvent de sortie. Mais, le “masque spécial Covid”, même s’il serait fait dans un très beau tissu, ne permettrait pas de crier et chanter nos refrains populaires tels que “Bopè-la ka pran manman-w” ou “Rèné ou two pré”, etc. Il n’est pas certain non plus que les jeunes des “groupes à Ti-mas” feraient des miracles avec le masque sanitaire durant le carnaval; souvent, ils enlèvent leur masque de gorille et le remettent à l’approche du tapis du concours…
Le carnaval de Guadeloupe, un méga festival de gouttelettes!
On pourrait d’ores et déjà envisager une quatrième mesure : tester tout le monde, c’est un chantier d’une grande ampleur mais qui ne serait pas irréalisable. En effet, ces derniers jours, on a appris que les chercheurs français d’un consortium d’entreprises (Skillcell, CNRS Sys2Diag et Vogo) ont mis au point le premier test virologique salivaire fiable pour détecter le Covid-19 en moins d’une heure. Easycov, c’est son nom, sera commercialisé à la mi-juin et coûtera 20 euros. Mais il nous semble que pour être valable, ce test devrait être fait dans un délai déterminé avant les festivités. Si les groupes carnavalesques pourront tester tous leurs membres, comment vérifier que tous les spectateurs (résidents et touristes) lors des défilés de rue ont réellement fait ce test?
Outre la sécurité policière mise en place pour lutter contre la délinquance pendant ce grand événement, notamment à Pointe-à-Pitre, il faudrait maintenant penser à la sécurité sanitaire. Que de contraintes pour simplement s’amuser!
Une chose est sûre: même quand il y a des thèmes sérieux pour conscientiser le peuple, le carnaval de Guadeloupe c’est une ambiance torride, avec des gens qui chantent, crient, rient, dansent, sautent, se touchent, s’embrassent, jouent de la musique, transpirent, mangent, boivent… Notre carnaval c’est un méga “festival de gouttelettes”!
Dans un tel contexte – donc si pas de médicament, pas de vaccin et si le Gouvernement français maintient l’interdiction des grands rassemblements – il paraît impensable que le carnaval ait lieu dans l’archipel guadeloupéen en 2021.
La Préfecture et l’Agence Régionale de Santé (ARS) de la Guadeloupe auraient alors la lourde et délicate tâche d’annoncer cette décision à la population. Reste à savoir comment réagiraient ceux qui ont fait du carnaval une raison de vivre…