La nouvelle est tombée très tôt ce “Mercredi des Cendres” : Rudy Benjamin, le président du groupe de carnaval “Very Important Mas” (VIM) venait de décéder, victime d’une crise cardiaque ou d’embolie pulmonaire (on ne savait pas exactement), à son domicile dans la commune de Sainte-Rose. Au début, beaucoup ont pensé qu’il s’agissait d’un canular que les réseaux sociaux faisaient circuler mais l’information a été vite vérifiée et confirmée par les médias. Toute la Guadeloupe est en état de choc par cette nouvelle brutale.
Ce Mardi Gras, son groupe VIM a été l’un des premiers à prendre le départ lors de la grande parade de Basse-Terre et rien ne présageait que le célèbre carnavalier allait quitter ce monde dans quelques heures même s’il avait des problèmes de santé. Est-ce le destin de Rudy Benjamin ou avait-il décidé de partir ce jour-là, le Mercredi des Cendres, le dernier jour des festivités alors que l’on se préparait à brûler le Roi Vaval? L’une de ses dernières déclarations ayant été : “les chefs de Mas meurent le Mercredi des Cendres parce qu’on les brûle (…)” selon la légende…
Après avoir fait partie d’autres “groupes à peau” (Akiyo, Point d’Interrogation), Rudy Benjamin avait fondé “Very Important Mas” il y a 20 ans (2004) et le groupe avait célébré cet anniversaire avec fierté. D’ailleurs, le “Chef de Mas” avait composé avec les membres de son groupe le titre “Symphonie Porcelaine” qui mettait davantage en valeur les sonorités des instruments traditionnels présents dans la musique de carnaval, notamment la conque de lambi, utilisée depuis des siècles par les peuples de la Caraïbe. Il voulait que d’autres musiciens s’approprient cette composition et y apportent leur touche, leurs notes…
Si Rudy Benjamin était toujours souriant, il devait aussi “encaisser” de nombreuses critiques notamment à propos des défilés où les hommes et surtout les femmes de VIM étaient dans des tenues qui ne cachaient presque pas leurs parties intimes. Le défilé “Latex Bandex” de ces derniers jours dans Pointe-à-Pitre qui se déroulait tard dans la nuit avait encore provoqué l’indignation d’une partie des Guadeloupéens. Était-ce pour imiter ce qu’il se passe dans certains carnavals de la Caraïbe, notamment dans les îles anglophones, que VIM avait adopté ce costume “sado-maso”?
Même si pour Rudy Benjamin le carnaval était avant tout la dérision, sa sensibilité d’artiste arrivait-elle à supporter toute cette vague de mécontentement où certains le traitaient de “proxénète” et l’accusaient de mettre volontairement des femmes nues dans les rues?
Cependant, tout le monde reconnaissait qu’en tant que musicien, Rudy Benjamin avait apporté une couleur particulière dans la musique de VIM, dans la musique de carnaval guadeloupéenne. Lors des défilés carnavalesques du dimanche soir dans les rues pointoises, quand on entendait le fameux “tak, tak, tak…tak, tak” sur les deux bouts de bois, on savait que c’était son groupe qui arrivait. La musique de VIM fait l’unanimité.
Il y a 38 ans (1986), Rudy Benjamin (claviériste) a été aussi l’un des membres fondateurs de Dissonance, un son créole mais avec des influences diverses. Au fil des années, ce groupe est devenu une “référence de la très bonne musique”, comme disent certains fans.
Il y a près de 30 ans (en 1996), quelqu’un m’avait présenté Rudy Benjamin et, tous les trois, nous avons bu un verre à Pointe-à-Pitre. L’homme parlait avec passion de la musique, de sa musique et il disait avoir de grands projets pour Dissonance, il voulait que cette nouvelle musique née en Guadeloupe voyage à travers le monde à l’instar du zouk de Kassav’… Mais, le succès de Dissonance avec ses tubes “Zouk Love”, “Anti-Star”, “Chance” ou “Chanson éternelle” est plutôt resté dans la communauté antillo-guyanaise française. C’est sûrement la plus grande déception du musicien.
Ce Mercredi des Cendres qui devait être le dernier jour de liesse clôturant la période carnavalesque s’est terminé dans la tristesse et le recueillement pour les membres de VIM, leurs fans et d’autres “groupes à peau”.
Dans un post, son fil Axel Benjamin, qui devrait continuer l’oeuvre de son père, a annoncé à tous qu’il n’y aura pas de déboulé dans les rues, le local de l’association, situé dans le quartier de Lauricisque à Pointe-à-Pitre, sera ouvert pour clôturer le carnaval 2024 en musique et aucun discours ne sera prononcé.
Rudy Benjamin avait 65 ans.
Vidéo: Évelyne Chaville