Les grands rassemblements carnavalesques ayant été annulés en Guadeloupe cette année, du 19 janvier au 18 février, le Kolèktif Mas Kiltirèl (KMK) présente au Centre culturel Emmanuel Albon au Raizet (Les Abymes) l’exposition “Mès-Labitud-Fondal” composée de plusieurs centaines d’objets (tambours, costumes, masques, fouets, notes explicatives, brochures, photos, ustensiles de maison etc.) fournis par une douzaine de Gwoup a Po (groupes à peau) et d’autres acteurs culturels. Cette exposition n’étant pas ouverte au public pour cause de Covid-19, Kariculture l’a visitée pour vous et vous offre un grand nombre de photos afin que vous puissiez l’apprécier ainsi que l’interview d’Alain Mozar (secrétaire du KMK).
Kariculture.net : Qui a eu l’idée de présenter cette exposition intitulée “Mès-Labitud-Fondal” (Us et Coutumes-Fondamental)?
Alain Mozar : D’une manière générale, chaque année, entre septembre et octobre, le KMK est dans la phase de bilan, de réflexion et de préparation des choses et, dans cette démarche, on a fait le constat qu’on parle de “Mas a Po” (masque à peau) mais il manque pas mal de précisions, de la concertation, de la mise en commun. Donc, dans un premier temps, il a été question pour nous de dire qui nous sommes? que faisons-nous?
On voit surtout la dimension “déboulé” mais il n’y a pas que les déboulés car la plupart des groupes disent qu’ils sont des “mouvements culturels” donc ils fonctionnent toute l’année et que, dans les 32 communes de Guadeloupe notamment dans le rural, ces groupes ont une fonction de lien social, de rencontre, de découverte de l’environnement, de valorisation d’aînés, d’ancêtres et pas mal de choses. Il fallait que l’on puisse bien expliquer cela au fur et à mesure. Sur ces bases-là, nous avons mis en place le programme de 2021.
Kariculture.net : Donc l’exposition était prévue Covid ou pas Covid?
A. M. : Au mois de juin 2020, on n’avait pas encore dit si on allait faire une exposition. Mais tous les 2 ou 3 ans, nous tenons une exposition. Ce n’est pas surprenant, c’est le thème qui change, chaque année.
Kariculture.net : Peux-tu nous expliquer le thème de cette année?
A. M. : Dans le thème “Mès-Labitud-Fondal”, il y a 2 axes. L’idée est que les Mas a po puisent leurs messages, tout ce qu’ils veulent faire durant le carnaval dans notre environnement, dans notre questionnement, dans ce qui marche et ce qui ne marche pas, c’est cela la partie “Mès é Labitid” du pays. “Fondal” – ce qui est essentiel pour nous, la ligne que nous suivons et chaque groupe a sa ligne – c’est comment les groupes transmettent la chose.
Kariculture.net : Combien de groupes ou personnes ont participé à cette exposition?
A. M. : Nous avons 23 groupes dans le KMK. Au niveau de la Guadeloupe, il faut compter 70 groupes mais seule une trentaine pratique vraiment.
Quand on dit Mès è Labitid, on a des artisans, des associations qui ne sont pas des associations de Mas, des personnes qui ont apporté des choses ; par exemple, Monsieur Maurice Noël de Pointe-à-Pitre qui travaille en permanence sur l’histoire et le patrimoine pointois et Madame Ladine qui a l’association “J’ose la Nature” ont apporté des objets de la vie quotidienne. Nous attendons le groupe KBM (Kaw ka Bwè é Manjé), c’est quelque chose de fondamental sur ce que nous produisons, nous consommons. Il y a aussi des groupes à Mas, des personnes qui agissent autour de la question culturelle qui ont apporté leur contribution. C’est assez large, il y a certes les Mas, mais les Mas sont dans la société, c’est la vie quotidienne.
Kariculture.net : Combien de pièces composent l’exposition?
A. M. : Le nombre de photos proposées par le KMK est 70. Il y a beaucoup de pièces, des centaines…
Kariculture.net : Cela a-t-il été facile pour que les groupes apportent des objets?
A. M. : On ne pouvait pas accueillir les 23 groupes du KMK. Nous avons ici 9 à 12 groupes, 12 c’est le nombre maximum que nous avons évalué en fonction de l’espace et du thème. Je peux dire qu’on a réussi mais en amont, il y a eu tout un schéma où il fallait voir la logique etc.
Kariculture.net : Finalement, vous n’avez pas eu beaucoup de temps pour mettre sur pied cette exposition…
A. M. : Nous avons l’habitude. C’est aussi une exposition qui s’est faite d’abord sur papier, tout a été pensé à l’avance, après on peut agencer.
Kariculture.net : L’exposition a commencé le 19 janvier, elle se termine le 18 février, soit un mois pile. La durée est-elle suffisante?
A. M. : Il était important pour nous de marquer la période du carnaval et de rappeler que la particularité du carnaval de Guadeloupe c’est aussi sa durée qui va du 1er janvier au Mercredi des Cendres. Peut-être que nous allons étendre la chose jusqu’à la Mi-Carème parce qu’il y a d’autres groupes, notamment dans la région de Basse-Terre, qui tiennent des événements jusqu’à cette date.
Kariculture.net : C’est dommage, le public ne peut pas visiter l’exposition alors qu’elle mériterait d’être vue, ne serait-ce que par un petit nombre de personnes. Qu’en pense le KWK?
A. M. : Pour l’instant, nous restons dans cette logique: il n y a pas de public. C’est sur cette base que le centre culturel nous a prêté l’espace. En France hexagonale et en Guadeloupe, les espaces culturels ne sont pas ouverts au public (…) Les Mas sont dans la logique de l’adaptation permanente et quand on a vu que c’était ainsi, on s’est beaucoup plus orienté vers les médias et nous les remercions pour la couverture. Je pense que davantage de personnes ont vu l’exposition et en ont parlé que si elle était ouverte au public (…)
Kariculture.net : Personne ne sait s’il y aura à nouveau un carnaval en 2022, comment le KMK voit-il l’avenir? Êtes-vous optimistes?
A. M. : Nous sommes optimistes concernant la vie. Quand on regarde le parcours que nous avons réalisé depuis 2004 et le parcours que les groupes ont réalisé depuis 1970, nous avons évolué, progressé dans un certain sens, nous voyons aussi les points à améliorer. L’important, c’est de pouvoir s’adapter. Il y a de grandes souffrances dans le pays, il y a des personnes qui voudraient s’exprimer (…)
Kariculture.net : As-tu eu des témoignages de personnes qui souffrent parce qu’elles ne peuvent pas profiter du carnaval qui est un exutoire pour elles?
A. M. : Ah oui! C’est un exutoire et beaucoup plus. Je vais faire un parallèle avec la mort: dans la région pointoise, il y a des personnes qui mangent dans les veillées, elles ne peuvent pas avoir un repas. Tous les dimanches par solidarité les Mas recevaient tout le monde, de janvier à mars et il y avait des gens qui, à cette occasion, prenaient un bon repas dans les groupes, voyaient du monde, étaient parmi les autres. Ce n’est pas de la théorie sur le lien social, c’est du vrai “faire-ensemble”.
