Alfonso Múnera : “nous connaître à travers la culture”

MuneraNous avons discuté avec le professeur et diplomate carthaginois, Alfonso Múnera, à ce moment-la, Secrétaire général de l’AEC* à propos du carnaval et d’autres thèmes pour mieux connaître les projets de l’organisme régional fondé en 1994 et composé de 25 États et de 11 territoires associés.

En effet, les peuples de la Caraïbe sont restés liés par une de leurs expressions culturelles les plus importantes : le Carnaval. La constitution officielle du Réseau de Carnavals de la Caraïbe (Red de Carnavales del Caribe), avec la signature de onze pays de la région, a eu lieu en juillet 2015 lors de la Fête du Feu (Fiesta del Fuego), le Festival de cultures populaires traditionnelles qui se déroule chaque année à Santiago de Cuba, une ville à l’Est du plus grand archipel des Antilles.

L’initiative fait partie des projets régionaux de coopération qu’impulse l’Association des États de la Caraïbe (AEC) et voit le jour pour rendre propices les échanges d’expériences et de savoirs ainsi que pour partager les visions et stratégies sur des politiques culturelles en vue renforcer ces festivités connues attirant les foules et ayant un grand enracinement populaire que sont les carnavals.

Festival del Caribe - Santiago de Cuba 1KARICULTURE.NET : La création de ce Réseau de Carnavals de la Caraïbe remplit les objectifs de l’AEC qui souscrivent le renforcement et la mise en valeur des capacités collectives pour obtenir un développement durable dans l’économie, la culture, la science et la société. Pourriez-vous nous dire, d’ores et déjà, comment l’Association se propose d’intensifier la création de liens culturels entre les membres ?

Alfonso Múnera  : Le Réseau de Carnavals de la Caraïbe (Red de Carnavales del Caribe) est un de mes programmes favoris parce que je soutiens ce que beaucoup de spécialistes disent  : Si les peuples ne commencent pas à se connaître, c’est très difficile de parler d’unité et de coopération. C’est un mécanisme qui prétend contribuer au processus de construction d’une identité caribéenne unique protégeant la richesse de ses diverses identités. Les carnavals peuvent être aussi un produit touristique culturel et un moyen de vie légitime et intense, et cela, il faut le protéger.

L’Association des États de la Caraïbe appuie ce projet tant nécessaire car la coopération mutuelle nous aide à nous améliorer tous. La meilleure manière de nous connaître et de nous identifier, c’est à travers la culture. Ce réseau est idéal puisque dans les peuples de la Caraïbe, le carnaval constitue l’expression collective la plus importante.

Nous voulons faire un autre programme avec plusieurs pays pour créer des réseaux de chercheurs afin de potentialiser notre connaissance, afin que les chercheurs échangent leurs expériences. Aller à Oxford, à Harvard ou à la Sorbonne pour apprendre ce qui se passe dans la Caraïbe doit être dorénavant une anecdote du passé.

Festival Caribe AKARICULTURE.NET : Croyez-vous que la Caraïbe soit réellement visible ailleurs dans le monde, que nous avons la visibilité dont nous avons besoin ?

A. M. : La Caraïbe a besoin de se vendre comme idée touristique et cela a ses dangers car nous finissons par créer une simplification et une espèce de stéréotype. Ceci fait qu’à l’extérieur on nous perçoit comme délibérément nous nous vendons. Nous devons nous projeter dans toute notre richesse et complexité. Quand ont eu lieu les fameuses négociations avec l’Organisation Mondiale du Commerce, la Caraïbe a été la première à défendre de beaucoup de façons l’idée qu’il fallait donner un traitement différencié aux petites îles et, lorsque nous faisions cela, nous ne nous protégions pas seulement mais nous protégions aussi des centaines d’îles dans l’Océan Pacifique et l’Océan Indien.

La Caraïbe, dans beaucoup de ces négociations, joue un rôle de leadership et construit une identité commune et l’exprime. Ce que l’AEC fait c’est pour contribuer à cette plus grande unité mais celle-ci ne peut être pensée seulement par les gouvernements, les gens du peuple doivent aussi la sentir. Nous avons avancé mais il nous manque que notre population sente qu’elle appartient à un bassin, à une région géographique, culturelle qui s’appelle la Caraïbe. Il n’y a aucune région dans le monde où l’on parle autant d’une identité et d’une culture partagées que la Caraïbe. Au fond, tous nous avons la même solitude insulaire qui nous fait tant désirer cette unité si difficile à trouver parfois, ceci fait que la culture pour nous est vitale.

Festival del Caribe - Santiago de Cuba 7KARICULTURE.NET : Pour les pays du bassin caribéen, le tourisme est un thème inéluctable. Comment envisagent-ils cet intérêt commun ?

A. M. : Un concept est fondamental : la durabilité touristique. Il s’agit de définir une zone de tourisme durable qui est déjà entrée en vigueur avec l’inscription formelle de 15 États de la Grande Caraïbe. Pour le moment, il y a un total de 22 sites proposés par ces pays lesquels doivent respecter des indicateurs rigoureux pour intégrer cette zone. Ceci est très important parce que la majorité des pays caribéens vit du tourisme et il se trouve que la certification de durabilité marque un avantage dans le marketing du produit touristique car beaucoup de gens en Europe et aux États-Unis prennent ceci en compte. Cela implique un compromis avec l’utilisation responsable des ressources de l’environnement.

KARICULTURE.NET : Où a-t-on le plus progressé en matière de coopération ?

A. M. : Je crois que la principale force de l’Association, en ce moment, a beaucoup à voir avec les programmes relatifs à la prévention du risque de désastre liés à la problématique que crée le changement climatique pour ces îles de la Caraïbe. J’oserais affirmer que les programmes régionaux de plus grande importance qui se font aujourd’hui dans la Caraïbe en matière de prévention de désastre, nous les avons impulsés nous-mêmes.

Nous avons deux programmes fondamentaux. L’un est dénommé SHOCK dans lequel participent 16 îles parmi lesquelles Cuba et qui consiste en un programme de prévention pour renforcer les alarmes en cas d’événements tels que les ouragans et les tsunamis. Il envisage des actions d’entraînement, de formation et d’équipement fourni par la Finlande, un pays qui possède des technologies de pointe en ce domaine.

Maintenant, nous inaugurons un programme avec le Mexique dans lequel seront investis autour de 4 millions de dollars pour connecter 11 îles au système d’information géo-spatial des Nations Unies. Nous avons mis en application aussi d’autres plus petits programmes qui font que l’Association est plus forte dans le domaine de la prévention.

Festival del Caribe - Santiago de Cuba 2KARICULTURE.NET : Comment qualifieriez-vous le moment que vit l’AEC ?

A. M. : Au cours du dernier lustre, nous avons assisté à une revitalisation de l’Association. Après plusieurs années d’une certaine stagnation, avec la volonté renouvelée des États-membres à partir de 2011 et, de manière très spéciale, celle des autorités haïtiennes qui ont reçu en 2013 le Sommet des Chefs d’États, des mécanismes de concertation se sont réactivés. Lors de ce Sommet, un plan d’actions qui se termine à la fin de l’année 2015 a été adopté ; celui-ci, au-delà des résultats ponctuels, a reflété l’optimisme avec lequel tous nous travaillons pour développer l’organisation.

KARICULTURE.NET : Quel est le défi le plus complexe, sur le plan pratique, auquel doit faire face l’Association ?

A. M. : Interconnecter la Caraïbe, créer des routes de transport. Ceci est un des problèmes qu’ont les îles si nous voulons impulser ce dont nous avons toujours rêvé : le tourisme multi-destination.

Cela, bien entendu, ne dépend pas seulement de nous ni des politiques publiques, cela dépend des compagnies aériennes, du marché mais nous essayons de mettre en contact les facteurs involucrés. C’est le plus difficile.

 

*Depuis juin 2016, June Soomer est le nouveau Secrétaire Général de l’Association des États de la Caraïbe