Le Sexe renfloue-t-il les caisses de certains territoires caribéens durant le Carnaval? Existe-t-il un “tourisme sexuel spécial Carnaval” dans certaines îles caribéennes?
Dans la région de la Caraïbe, le carnaval est célébré tout au cours de l’année. La plupart des îles caribéennes organisent leurs manifestations carnavalesques durant la période traditionnelle se situant avant le Carême. Actuellement, plus d’une dizaine de territoires célèbrent ce moment festif et le point d’orgue sera le 13 février prochain, Mardi Gras, d’autres îles poursuivront la fête jusqu’au lendemain, Mercredi des Cendres. À noter que ces cendres ne sont pas associées à celles de la réligion catholique mais aux cendres du Roi du Carnaval (Vaval) en Guadeloupe, Martinique, après son incinération…
Quand nous regardons les costumes que portent nos carnavaliers et surtout nos carnavalières, nous nous rendons compte que, très souvent, il s’agit d’un soutien-gorge et d’un slip ou un bikini ou un maillot de bain une pièce. Quelques plumes sont accrochées au dos de ces dames avec quelques paillettes et voilà: le costume est prêt! Certaines y associent quelques bandes ou quelques ficelles aux bras et aux jambes, parfois un chapeau et voilà: prêtes pour le défilé!
Si en temps normal, la gent féminine est très souvent complexée quand elle a une piqûre de moustique ou un bouton sur le visage ou encore quand elle a des kilos de trop, dans les défilés carnavalesques, elle oublie tous ses complexes. C’est la magie du Carnaval. Parcourir en chantant, en criant, en dansant les bras ouverts et surtout les jambes écartées en étant à moitié nues ne semblent pas décourager ces dames.
Souvent, dans la Caraïbe, ceux qui critiquent ces carnavaliers “dévergondés” sont les mêmes qui les regardent passer dans les rues tard la nuit et avec leurs enfants ; ce sont les mêmes qui se rendent à l’église le lendemain. S’ils désapprouvent ce comportement, pourquoi ne boycottent-ils pas ces défilés? Tant qu’il y aura un public, il y aura des carnavaliers presque nus ou nus.
Le maillot de bain très échancré avec des plumes et des paillettes est devenu le “costume obligatoire” dans les îles anglophones. Si le Carnaval est synonyme de liberté, on peut considérer qu’il s’agit d’un costume à part entière et qu’il faut respecter le choix des carnavalières et de leurs groupes. Et puis, c’est tellement plus rapide et facile d’enfiler un soutien-gorge et un slip ou un maillot de bain pour défiler…et cela coûte moins cher, alors pourquoi passer des heures à découper et coudre des mètres de tissu ? Mais, il existe des modèles de costumes sophistiqués où les seins sont “sur le balcon” et le sexe presqu’à l’air libre (donc avec très, très peu de tissu) mais qui coûtent très chers…
Quant aux îles francophones, hispanophones et néerlandophones, elles ont timidement adopté le soutien-gorge et le slip. En effet, la majorité de ces îles préfèrent encore créer des costumes où le corps est caché. Cependant, depuis quelque temps, on observe que des groupes en Guadeloupe ou en Martinique (Caraïbe française) n’hésitent pas à défiler à moitié nus sur la voie publique, provoquant l’indignation d’une partie de la population.
De son côté, le phénomène des “Groupes à Peau” a pris de l’ampleur en Guadeloupe et on observe un déshabillage des femmes mais aussi des hommes par les stylistes de ce mouvement culturel que ses “penseurs” expliquent par une volonté de faire des économies et démocratiser le Carnaval…
Est-ce également une envie de se moquer de la société bien pensante? Est-ce également une imitation de ce qu’il se passe dans les îles anglophones? Certains Guadeloupéens et Martiniquais qui ne se sentent pas complètement intégrés dans la Caraïbe croient que c’est en copiant ce type de faits qu’ils affirment leur “Caribéanité”.
Dans les îles anglophones, cela fait plusieurs années que les femmes arborent slips et soutiens-gorge dans les rues pendant le carnaval, et personne ne disaient rien. Les stylistes du Carnaval (qui est une affaire d’État) ont décidé de mettre les femmes à poil dans les rues et tout le monde trouvait cette tenue plutôt…sexy. Voilà un adjectif qui a fait des dégâts ces dernières années car beaucoup pensent que, pour qu’une femme soit jolie et moderne, il faut qu’elle soit “sexy”. L’homme doit être habillé et la femme doit être à moitié nue mais malheureusement, “sexy” rime souvent avec “vulgaire”.
Ces dernières années, il y a eu un réveil de quelques personnes désirant “nettoyer” le carnaval caribéen.
Ainsi, par exemple, en 2017, le ministre des Festivals à Antigue & Barbude a été interpelé pour qu’il mette un terme à la nudité dans le carnaval ; il a souhaité qu’on laisse son Cabinet en dehors de ce débat et a répondu que des lois existaient pour poursuivre ces personnes et que la police était compétente pour traiter ce type d’affaire…
En 2019, lors du carnaval à Sainte-Lucie, des vidéos ont circulé montrant des carnavaliers nus et des comportements obscènes, la police a été appelée à se montrer plus sévère… Cette même année, un sénateur de Barbade a déclaré que la nudité n’a jamais été un sujet national dans l’île…
En 2020, la Grenade a interdit les strings et les femmes dont la poitrine est supérieure à un bonnet D ne sont pas autorisées à porter des soutiens-gorge à armature. Toute personne contrevenant à ce code vestimentaire sera exclue du défilé et devra s’acquitter d’une amende. “Comprenant que nous vivons dans une société chrétienne, notre morale et nos valeurs doivent être respectées”, a déclaré le directeur de SpiceMas. Ces restrictions sont-elles toujours respectées?
À Trinidad & Tobago, des voix s’élèvent également contre la nudité des hommes et surtout des femmes, un comportement qui aurait “porté le plaisir à des niveaux pornographiques incroyables”, peut-on lire dans un courrier écrit, l’an dernier, par un amoureux du carnaval…
Paroles, paroles, paroles, cette nudité est combattue bien tardivement et il existe une sorte d’hypocrisie concernant ce sujet.
Pour aller plus loin, peut-on supposer que les femmes en sous-vêtements se déhanchant dans les rues au rythme de la soca, du calypso ou du bouyon participent activement à l’essor de l’économie de ces territoires? On n’a pas de pétrole dans les îles de la Caraïbe mais on a des femmes, de belles femmes, et si elles s’offrent en spectacle nues ou presque nues dans les rues pendant le Carnaval, cela ne peut que développer le tourisme, n’est-ce pas?
Donc, le Sexe renfloue-t-il les caisses de ces territoires caribéens durant le Carnaval? Existe-t-il un “tourisme sexuel spécial Carnaval” dans certaines îles caribéennes?
Peut-on parler d’une “utilisation”, d’une “instrumentalisation” du corps des femmes et celles-ci seraient-elles consentantes ? Qu’en pensent les associations féministes? Évidemment, le Carnaval est une soupape de sécurité, alors on laisse la gent féminine se libèrer de toutes les pressions de la société y compris de ses vêtements…
Certains affirment que cette nudité féminine serait la cause de viols, d’agressions sexuelles durant le carnaval. L’an dernier, deux femmes ont été violées en Martinique pendant ces festivités, ces crimes sont-ils liés à la nudité?
“Faux”, rétorquent certaines carnavalières mais elles demandent aux hommes de maîtriser leurs pulsions car les femmes savent se contrôler à la vue d’hommes nus ou presque nus.
Vidéo tournée par Evelyne Chaville, Pointe-à-Pitre, 2018