À la fin de l’année dernière, subitement, on a entendu qu’un grand événement artistique se préparait en Guadeloupe. Il s’agissait d’une biennale, l’organisateur était le Conseil départemental. Les choses ont commencé à se préciser quand “quelques” artistes ont affirmé avoir eu un coup de fil d’un chargé de mission (également artiste) du Conseil départemental les informant de cette manifestation. Cette façon de faire a d’ailleurs interpelé plus d’une personne. De quel droit cette personne se permettait-elle de choisir des artistes dans l’archipel selon ses affinités, ses envies? C’est certainement un ordre de sa hiérarchie. Certains artistes qui ont osé critiquer cette façon de procéder ont été “bousculés” verbalement voire insultés par des “artistes sélectionnés”…
Le lundi 21 décembre 2020, il y a eu une réunion d’information à l’hôtel Arawak avec ces quelques “artistes-élus” en présence des responsables du service culturel du Conseil départemental, de la conseillère départementale en charge de la culture, Brigitte Rodes et d’un invité étranger présenté comme le directeur artistique de cette biennale, Simon Njami. À part le thème – “Abolitions” – et la période – du 8 décembre 2021 au 5 mars 2022 – qui ont été dévoilés à cette occasion, beaucoup d’artistes ayant participé à cette première rencontre disent être ressortis déçus car ils n’ont rien appris de concret sur ce futur événement.
Précisons que les 14, 16 et 19 décembre 2020, Simon Njami, originaire du Cameroun, a assuré des formations au siège du Conseil départemental à Basse-Terre ou à l’hôtel Arawak et certains artistes disent avoir été prévenus du jour au lendemain ; l’un des thèmes était : comment présenter un dossier afin de participer à une biennale?
On a pensé que les organisateurs allaient communiquer pour créer une adhésion des artistes et de la population à ce projet mais cela n’a pas été le cas : la presse brillait par son absence lors de cette réunion à laquelle a participé une quarantaine d’artistes. D’après les dires, une personne présente dans la salle se serait alors risquée à enregistrer les propos tenus au cours de cette réunion mais elle aurait été priée d’éteindre son portable par l’une des fonctionnaires du service culture du Département et sur un ton plutôt désagréable. Organisons mal, organisons en catimini…
Les jours suivants, certains artistes ont cru bon d’adresser leur CV, books ou autres au Conseil départemental pour se présenter, certains sont même allés sur place pour rencontrer les personnes aux manettes. Mais, ce que tous attendaient avec impatience, c’était les appels d’offres pour pouvoir soumettre leurs projets.
Fin avril 2021, après des mois d’attente, les artistes ont su que cette fameuse biennale avait été reportée (à quand? nul ne le savait…), d’autres disaient qu’elle avait été annulée, on peut le comprendre car souvent, en ce temps de Covid-19, “reporter” signifie “annuler”. En outre, en juin prochain, des élections auront lieu au Conseil régional et au Conseil départemental de la Guadeloupe et l’actuelle présidente du Conseil départemental a annoncé dans la presse locale qu’elle quittera le Département pour briguer le poste de présidente du Conseil régional. Ce projet de biennale sera-t-il une priorité pour son successeur ?
Le 12 mai 2021, afin de tenter de comprendre cet imbroglio, nous avons contacté Simon Njami et lui avons posé quelques questions, sa réponse reçue le 13 mai 2021 a été plutôt surprenante : “(…) Que je sache, et il me semble être plutôt bien placé pour savoir, la Biennale n’a pas été annulée, mais reportée. Nous continuons à travailler dessus et les résidences d’artistes se poursuivent. La dernière a été écourtée à cause du confinement qui a été décrété. La prochaine aura lieu au mois de Juin. Je continue à travailler sur la sélection des artistes et les différentes activités environnantes que nous mettons en place. Dès que ceci sera rendu public (ce qui ne saurait tarder), je serai prêt à répondre à toutes vos questions (…)”.
Nous pouvons comprendre que Simon Njami ne puisse pas répondre aux interrogations quant à la date de l’organisation de cette biennale qui dépend du Conseil Départemental mais il aurait pu nous répondre, par exemple, sur sa vision de l’art guadeloupéen s’il existe, sa rencontre avec nos artistes, les éventuelles retombées (économiques, culturelles ou autres) pour notre archipel, les retombées de cette biennale de Guadeloupe dans le paysage culturel caribéen sachant que cette première édition était prévue pratiquement à la même période que la 14e édition de la Biennale de La Havane à Cuba, fixée du 12 novembre 2021 au 28 février 2022, etc.
Le 14 mai 2021, soit cinq mois après la première réunion, les artistes contactés ou qui s’étaient présentés aux organisateurs ont reçu par mail un courrier daté du 12 mai 2021 (date où nous avons contacté Simon NJami). Signé de Josette Borel-Lincertain, celui-ci informe officiellement du report de cette biennale. La présidente du Conseil départemental écrit : “À l’occasion de notre assemblée plénière du 18 décembre 2020, le projet de Biennale intercontinentale d’art contemporain de Guadeloupe a été présenté aux conseillers départementaux qui l’ont approuvé (…)”. Si les élus de cette collectivité majeure en charge du social ont donné leur accord pour l’organisation de cet événement artistique, il n’est pas mentionné qu’ils aient voté un quelconque budget. On parle d’une somme de 2 ou 2,5 millions d’euros qui serait nécessaire pour mener à bien cette biennale…
La présidente de cette assemblée poursuit : “il s’agit, au travers de cet événement de grande envergure, de positionner la Guadeloupe sur la scène internationale de l’art contemporain (…)”. On a envie de lui répondre que beaucoup de Caribéens ne savent même pas où se situe notre archipel… On a envie de savoir si ces fonctionnaires ont visité d’autres biennales afin de voir comment se déroule une telle manifestation culturelle?
“Le créneau de décembre à mars de l’année suivante demeure le meilleur moment pour accueillir ce grand événement”, affirme-t-elle. On a envie de lui demander si ce choix est destiné à ne pas faire de concurrence à la “Pool Art Fair” annuelle du peintre Thierry Alet qui a lieu d’habitude en Juin? On a surtout envie de lui demander si elle trouve judicieux de lancer la première édition de cette biennale de Guadeloupe à la même période que la très connue Biennale de La Havane?
“Les résidences d’artistes programmées dans la phase préparatoire ont dû etre reportées en raison des contraintes sanitaires d’entrée sur le territoire et du confinement”, déclare Madame Borel-Lincertain. Selon Monsieur Njami, la prochaine se déroulera en juin prochain au lieu d’avril dernier. Selon nos informations, l’artiste-peintre invité serait originaire du Cameroun et se nommerait Bili Bidjocka ; les deux précédentes résidences ont été offertes au plasticien, sculpteur et performeur Arnaud Cohen, originaire de France-Portugal (février-début mars) et au photographe David Damoison, originaire de Martinique (mi-mars/avril). Beaucoup de nos artistes ignoraient que la présence de ces artistes en Guadeloupe était liée à cette future biennale. On a envie de demander à la présidente du Conseil départemental pourquoi elle n’a pas saisi cette occasion pour accueillir aussi plusieurs artistes locaux en résidence chez eux en Guadeloupe puisque beaucoup n’ont jamais expérimenté ce mode de production?
Est-elle vraiment sûre que “les plasticiens guadeloupéens y trouveront toute la place qui leur est due”, comme elle l’affirme ou était-il prévu que la plupart de nos artistes aillent “décorer” des off peu fréquentés tandis que des artistes étrangers et quelques “artistes-copains” de Guadeloupe occupent les lieux d’exposition les plus en vue et repartent avec le pactole? C’est en tout cas la crainte de nombreux artistes de l’archipel.
Par ailleurs, avec son long courrier, Josette Borel-Lincertain tente-t-elle de passer dans la postérité en étant celle qui serait à l’initiative d’une biennale en Guadeloupe? C’est ce que déclare une plasticienne…
La Biennale intercontinentale d’art contemporain de Guadeloupe est reportée et cela se comprend car cette affaire s’apparente à une vraie “usine à gaz” prête à exploser et à casser le moral de nos artistes déjà fragilisés par la pandémie de Covid-19. Pas de budget voté, pas d’appels d’offres, sélection d’artistes par copinage, pas de communication régulière avec les artistes, résidences d’artistes avec un but “flou” et réservées uniquement à des artistes étrangers, mauvais choix de la date, aucune médiatisation, ce sont quelques grands manquements à une biennale qui devait soit disant faire de l’archipel guadeloupéen le centre artistique du monde…dans 6 mois!
Conclusion : le Conseil départemental de la Guadeloupe et son service Culture ainsi que ses partenaires extérieurs – sûrement très bien payés – sont priés de revoir sérieusement leur copie car l’image de la Guadeloupe est en jeu.