Lil Fats, le patron de Coast 2 Coast, le célèbre concours de chant américain avait dit à Haya: “Your net worth is your network” (Ta valeur nette, c’est ton réseau). Le jeune producteur guadeloupéen de SpaceShip Music a pu vérifier cette déclaration avec toutes les rencontres qu’il a faites et surtout quand, en 2016, Empire a accepté de distribuer la musique de Nashoo. C’est la première fois qu’un artiste de Guadeloupe signe avec cette grande compagnie de distribution basée en Californie, États-Unis. Avec presque le sentiment du devoir accompli, Haya le chanteur a maintenant décidé de reprendre sa carrière en sortant le 18 septembre prochain le titre “Buss a Whine”, produit par Y-Not Productions. Nous vous proposons la 2e partie de l’interview qu’il nous a accordée.
Kariculture.net : Depuis 3 ans, tu vis en Guadeloupe avec ta famille, comment se passe ce retour au pays? Est-ce facile de faire ta musique en Guadeloupe?
Haya : Le retour au pays se passe assez facilement et c’est paradoxal : nous avons déjà fait beaucoup de scènes, c’est ahurissant, on a l’impression d’être en tournée en permanence, le territoire est très petit et on a vite fait le tour. Mais musicalement, toutes les représentations ne sont pas valorisantes; on peut faire des petites salles comme des grandes salles, c’est aléatoire. Nous, nous créons nos propres opportunités: on organise nous-mêmes nos événements, on peut se mettre en scène nous-mêmes et faire des performances. Par exemple, de 2018 à 2019, on a été en résidence au restaurant Le Petit Jardin à Pointe-à-Pitre et en 2020 au restaurant OM’ Saya au Gosier.
C’est aléatoire de travailler ici en Guadeloupe c’est-à-dire qu’il n’y a pas de grands débouchés mais par contre il y a pas mal de choses à créer, on peut créer des opportunités rapidement en Guadeloupe mais il faut en vouloir.
Parallèlement, on continue à travailler à l’international, notre musique est distribuée en Afrique, aux États-Unis, en Europe… Sur le plan national, on est rentré sur des radios comme Africa n°1, Tropic FM ou Espace FM qui diffuse des morceaux de Nashoo depuis un an…
Kariculture.net : Nashoo et toi, vous êtes revenus en Guadeloupe mais vous auriez pu aller aux États-Unis car vous aviez reçu une proposition intéressante. Peux-tu nous en parler?
Haya : Nous avions eu plusieurs opportunités improbables. Cette fois-ci, suite à la sortie de notre titre “Island Flame”, nous avons été repérés par Marc “Glock” Diemens, le recruteur des labels américains Diemens, Rich Gang et Cash Money Millionaires. Après un premier échange par mail, nous avons eu un entretien téléphonique avec lui qui a duré plus d’une heure vers 3h00 du matin à Paris, ce qui nous a beaucoup surpris. Cet agent nous a proposé de signer avec ce label qui a produit Lil Wayne et bien d’autres artistes. Nous devions venir immédiatement aux États-Unis afin d’être produits et faire partie du catalogue de “ghost-writers”. Mais, nous étions déjà engagés avec Coast 2 Coast. Nous sommes restés en contact avec Marc “Glock” Diemens (…)
Kariculture.net : Quelle est ta réaction quand tu constates que des “grosses” radios d’ici vous ignorent et ne passent pas votre musique?
Haya : C’est parce qu’elles ne sont pas au courant (rires)! Quand elles sont au courant, elles nous disent: “mais où étiez-vous, on vous attendait”. Sur un marché international, les radios vont chercher la musique; en Guadeloupe, on est obligé d’apporter la musique aux médias, ce qui est dommage. En fait, parfois même en faisant cela, la musique de l’artiste peut ne pas être diffusée. Ici, on est maintenant diffusé sur Fun Radio…
Kariculture.net : Avez-vous vraiment besoin de ces radios locales si vous êtes sur le marché international?
Haya : On a fait le choix de rentrer au pays donc on savait les avantages et les inconvénients que l’on recommence à zéro puisque le pays ne nous connaît pas. On est au national et à l’international, mais c’est bien aussi d’être connu chez soi. Notre démarche quand on est revenu au pays c’était de nous approprier notre territoire. On ne peut pas s’approprier le territoire des autres et ne pas être à l’aise chez soi.
Kariculture.net : Tu as vécu à Paris puis à Londres, tu parles anglais, connais-tu beaucoup de monde dans le milieu musical londonien? Londres étant un carrefour, as-tu rencontré beaucoup d’artistes caribéens en Angleterre?
Haya : À Londres, j’ai rencontré énormément d’artistes caribéens (Sainte-Luciens, Trinidadiens, Jamaïcains, Haïtiens…), africains (Ghanéens etc). Il y a par exemple Cold Chizzle et son équipe Militant Entertainment, des gars qui sont DJ, beatmakers, songwriters, chanteurs et qui m’ont aiguillé sur tout le territoire. Ils donnent le tempo à la soca en Angleterre et chez eux dans la Caraïbe. Cold Chizzle a été mon mentor en Angleterre, il avait déjà entendu parler de Nashoo et moi, il m’a déjà composé de la musique, je lui ai déjà écrit des morceaux, on échange depuis que l’on se connaît. J’ai aussi rencontré Harry Toddler, un accolyte d’Elephant Man, que j’écoutais quand j’étais plus jeune (…) Je peux aussi citer Hervé de Kreyol Vibz qui organise des soirées où l’on peut performer pendant le carnaval de Londres où participent beaucoup de Guadeloupéens et Martiniquais (…)
Kariculture.net : Tu travailles de concert avec ta compagne Nashoo, la compagnie de distribution Empire, basée en Californie (États-Unis) a accepté de distribuer la musique de Nashoo. C’est la première fois qu’un artiste de Guadeloupe collabore avec Empire, comment as-tu accueilli cette grande nouvelle en tant que producteur?
Haya : Travailler avec Empire a été une très bonne nouvelle. Empire, c’est ce que l’on attendait depuis très longtemps, c’est-à-dire pourvoir mettre notre musique en exergue sur un grand territoire; eux, ils distribuent dans le monde entier. C’était en 2016 et nous sommes les premiers artistes reggae-dancehall de Guadeloupe à avoir signé avec Empire pour qu’elle distribue notre musique. C’est une très belle reconnaissance. Empire est le numéro 1 aux États-Unis sur la musique urbaine (hip-hop, R&B…).
Kariculture.net : Comment cela s’est-il passé avec Empire?
Haya : On n’a pas eu un contact direct avec eux. C’est le rappeur américain Reime Schemes avec lequel on travaille et qui est déjà distribué par Empire qui nous a recommandés. C’est grâce à Reime que cette signature avec Empire a été possible.
La petite histoire c’est que Reime a participé au concours Coast 2 Coast pour être sur la mixtape de Future, on s’est connu à ce moment-là; il a perdu et on a gagné. On a travaillé ensemble par la suite et comme il est artiste et producteur, il nous a dit: “on est en compétition mais ce n’est pas une compétition, travaillons ensemble!”.
Empire a déjà distribué quatre de nos titres: “Island Flame”, “Thief ah Whine”, “Wonders” et “Summer Love”.
Kariculture.net : Comment se passe alors la distribution de votre musique avec Empire?
Haya : La distribution est parfaite, ils ne nous prennent pas beaucoup de droits sur notre musique et c’est plus intéressant de passer par eux que par des plateformes digitales qui prennent un gros pourcentage sur les artistes. D’ailleurs, Empire est un label pour les artistes et créé par des artistes et si elle a influencé le monde musical au point qu’il y ait eu une série télévisée qui porte son nom, cela veut tout dire.
On est fier d’être chez Empire, on est distribué dans le monde entier. En Afrique, notre musique tourne en Tanzanie, au Ghana, en Sierra Leone etc. avec la distribution et la promotion d’Empire. Cela signifie que, dès qu’un morceau sort, il y a 200 à 500 sites internet qui parlent de nous, les radios demandent des interviews, parfois il nous arrive d’être à 3h00 du matin en interview avec une radio aux États-Unis, en Afrique ou ailleurs. On donne aussi des interviews dans la Caraïbe (Jamaïque…). Quand les animateurs de ces radios apprécient notre musique, ils nous envoient une petite vidéo d’eux en train de la diffuser, ils nous demandent des dédicaces ou des liners. On accorde au moins une interview par semaine seuls ou avec Reime. Dernièrement, on a accordé une interview à Irie Vibes, une web radio basée au Luxembourg, dirigée par un Jamaïcain et qui diffuse de la musique reggae. Kiss FM en Tanzanie nous a envoyé une petite vidéo d’eux en train de diffuser notre musique (…)
En fait, c’est vraiment plus intéressant d’être distribué par Empire parce que l’on n’a pas grand-chose à faire: une fois que la musique est sortie, elle est visible.
Kariculture.net : Il semble que beaucoup d’artistes aient découvert internet avec l’épidémie de Covid-19 mais cela fait très longtemps que tu travailles avec le numérique. Que t’apporte ce moyen de communication?
Haya : Nashoo et moi, on est des artistes scéniques cela veut dire qu’on est dans un territoire qu’on exploite et le digital nous permet de toucher d’autres territoires. Cela a été notre principe dès le départ, on n’a pas beaucoup de clips mais on a utilisé des plateformes depuis Paris et on s’est rendu compte qu’on touchait des pays étrangers parce qu’il y avait un peu d’anglais dans les chansons. Le digital nous a permis de voir que quel que soit le lieu où nous nous trouvons, à partir du moment où nous avons fait notre travail, la musique est diffusable grâce aux réseaux.
Lil Fats, le patron de Coast 2 Coast m’a dit : “Your net worth is your network” (Ta valeur nette, c’est ton réseau). Sans réseau, sans internet, il y a beaucoup d’artistes qui ne survivent pas parce qu’il faut distribuer la musique, le marché du disque est mort, le marché est digital. Donc les artistes doivent tous s’adapter, ceux qui sont très dans le “physique”, qui font de la scène, ça leur rapporte plus que s’ils sortaient un disque, le disque ne sort pas du territoire.
Nous, on travaille principalement sur internet et c’est la raison pour laquelle on a décidé de rentrer en Guadeloupe, on a décidé de travailler sur le “physique” chez nous.
Kariculture.net : Ton nouveau titre sort le 18 septembre prochain, comment s’appelle-t-il et de quoi parle-t-il?
Haya : Il s’appelle “Buss ah Whine”. Cela veut dire: “déchaîne-toi”, “danse”, il est destinée à la Jamaïque et aux territoires anglophones. Cette chanson est produite par Y-Not Productions, dirigée par Sens’s High J un beatmaker franco-béninois qui est membre du jury à Coast 2 Coast, il a le mérite d’avoir produit beaucoup de musique jamaïcaine; les productions jamaïcaines font appel à lui pour composer des instrumentaux pour Elephant Man, Movado et d’autres stars. Il est aussi officiellement l’un des beatmakers de notre maison de production, SpaceShip Music. C’est avec lui que je travaille sur certains morceaux. Il a aujourd’hui décidé de sortir ses propres “one riddims”.
“Buss a Whine” c’est de la dancehall rythmée, plutôt hardcore, je suis retourné à la base, je suis un artiste de style “stand tall”. C’est un titre qui s’adresse à la gent féminine.
Kariculture.net : Qu’est-ce qui t’a poussé à reprendre le micro?
Haya : Sens’s High J m’a proposé un instrumental et j’ai dit oui, pourquoi pas? Cela fait 3 ans que je n’ai pas sorti un titre. Il était peut-être temps que je le fasse parce que j’étais plutôt occupé à m’occuper de la carrière de Nashoo. Maintenant j’ai plus de temps car elle a pris un gros “balan” (avance), elle a sa propre équipe de management à Paris, le travail à l’international, on l’a déjà fait avec Empire.
J’ai donc décidé de reprendre la musique parce que c’est ma passion principale même si je mixe, je fais de la vidéo. Maintenant, je vais m’occuper de ma carrière musicale que je n’ai pas vraiment lâchée. “Buss a Whine”, me permettra éventuellement de reprendre ma carrière sur ces territoires anglophones, de m’affirmer aux côtés d’artistes déjà très connus…
Kariculture.net : Quelle est ta vision du monde culturel, plus particulièrement du monde musical, depuis l’apparition de la maladie Covid-19? Les concerts, les spectacles peuvent-ils survivre?
Haya : Depuis la fin du confinement, on a déjà fait quatre scènes et on a l’espoir que la situation continue à se débloquer et, en même temps, il y a ce risque que tout se bloque de nouveau. On y va à tâtons.
Je pense que le milieu artistique et culturel essaye de trouver de nouvelles voies de diffusion, il y a beaucoup d’artistes qui se focalisent davantage sur le web. Cela ne change pas pour nous car on l’a toujours fait.
La musique c’est une mission, pas une compétition. Nous, on a fait notre travail, si cela a inspiré d’autres artistes, tant mieux. Nous, on s’inspire déjà de tout ce qui existe pour pouvoir nous améliorer, apporter notre touche personnelle.
Le milieu digital, avec les concerts par exemple, va continuer à se développer et pour le “physique”, il faudra juste s’adapter. Il va y avoir de plus en plus de diffusions payantes. Par exemple, Youtube, Facebook, la SACEM et d’autres organismes internationaux récupèrent maintenant les droits des artistes même sur les plus petites vidéos, ce qui n’était pas le cas avant. La musique va continuer à se développer, elle est l’âme de la société; vu que le peuple continue à vivre, il y aura de la musique et de la culture.