Kassav’ célèbre en 2019 ses 40 ans d’existence et beaucoup de jeunes Guadeloupéens et Martiniquais affirment qu’ils ne souhaitent pas chanter ou jouer cette musique de “doudou-chéri”. Ils préfèrent alors emprunter aux Américains leur jazz ou aux Jamaïcains leur dance hall pensant qu’ils auront une carrière là où sont nés ces rythmes musicaux. Malheureusement, très rares sont les opportunités qui se présentent à eux là-bas et beaucoup resteront des stars locales. Et même s’ils arrivaient à percer aux États-Unis ou ailleurs, on leur demandera toujours quels sont les rythmes musicaux de chez eux et ils seront contraints de citer le zouk parmi les autres musiques locales…
La nature ayant horreur du vide, d’autres artistes venus d’ailleurs ont compris la richesse de cette musique qui est née chez nous. C’est ainsi que les Cap-Verdiens et les Angolais ont mis le grappin sur le zouk en changeant légèrement le tempo et l’ont baptisé “kizomba“; certains viennent même en Guadeloupe nous enseigner comment danser cette musique soi-disant nouvelle qui est, en fait, notre propre musique “assaisonnée” autrement… Les Angolais ont inauguré en 2012 la “Maison du Zouk” en présence de Pierre-Édouard Décimus et Jacob Desvarieux, deux piliers de Kassav’ ; ce musée à la gloire de notre musique (le seul qui existe dans le monde) rassemble environ 10 000 disques, ceux de Kassav’ mais aussi ceux des autres stars du zouk de Guadeloupe et de Martinique. Les Brésiliens où l’on parle aussi le portugais ont eu la même réaction: ils ont adopté le zouk…
Maintenant, ce sont les Haïtiens qui ont décidé de s’accaparer du zouk et de le mettre à leur sauce. En effet, depuis quelque temps, on assiste à une véritable déferlante de musique de groupes haïtiens au pays. Certains ont concocté un savant mélange de kompa et de zouk avec des paroles d’amour en créole et même en français (le fameux “doudou-chéri” que certains critiquent ici), des leads féminins, des choeurs féminins, bref tous les ingrédients pour faire un bon zouk-love… Pourquoi nommer ces groupes ou artistes si l’on sait que tous monteront au créneau pour réfuter ce constat ou cette copie? Patrick Saint-Éloi (ancien membre de Kassav’), surnommé le roi du zouk-love, est mort en 2010, y a-t-il maintenant une place à prendre?
Le retour du kompa haïtien
C’est assez paradoxal : le kompa haïtien qui était en Guadeloupe et Martinique la musique dominante dans les années 1960-1970 dont l’influence avait été stoppée par le zouk dans les années 1980 a repris du poil de la bête, ces derniers temps. Et cette sorte de kompa zouk-love apparemment plaît beaucoup au public guadeloupéen et martiniquais car ces groupes haïtiens sont en tête des hit-parades. L’un d’entre eux sera en concert sur l’île de La Désirade à Pâques et l’on imagine que nombreux seront les fans à prendre le bateau pour le voir sur scène.
Certains de nos artistes de zouk sont également séduits par ce kompa zouk-love haïtien et l’ont adopté. Décidément, le “pur zouk” n’aura bientôt pas grand monde pour le défendre…à part Kassav’, son créateur…
De plus, actuellement en Guadeloupe, presque toutes les radios et toutes les discothèques de l’île proposent des émissions ou des soirées spéciales kompa. Le phénomène est semblable en Martinique. En fait, le kompa ne s’était pas si bien porté depuis plusieurs années. Lors de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, le public a découvert deux groupes de jeunes musiciens guadeloupéens – dont l’un venait de Terre-de-Bas aux Saintes – qui jouent du kompa et qui n’ont rien à envier aux groupes connus d’Haïti. Mais ce sont des exceptions.
Devons-nous condamner nos jeunes qui rejettent le zouk et préfèrent le dance hall à toutes les autres musiques? C’est un peu difficile car lorsque nous étions plus jeunes, beaucoup d’entre nous adorions le funk américain par exemple, collectionnions les posters des stars américaines et rêvions d’aller aux “States”. Aujourd’hui, nos jeunes n’écoutent pas les radios généralistes, ils ont à leur disposition des “radios de jeunes” qui les biberonnent avec toutes sortes de musiques venues d’ailleurs et parmi celles-ci, il y a le dance hall; ils sont, à la fin, complètement déracinés, ils s’identifient aux chanteurs de reggae-dance hall jamaïcains et pensent que, dans cette île caribéenne, toute la population porte des “locks”…
Kassav’ ne fait pas rêver nos jeunes
Il faut dire qu’en Guadeloupe, nous avons une certaine propension à aimer tout ce qui vient de l’extérieur et à n’accorder aucune importance à ce que font nos compatriotes, à ce qui est de chez nous. Mais quand un étranger débarque et parfois copie ce que nous faisons, tout de suite, nous le mettons sur un piédestal. C’est ainsi que pendant 25 ans une chanteuse et pianiste cubaine s’est fait passer ici pour une grande star dans son île. Quand elle est décédée, l’an dernier, Kariculture.net a rétabli la vérité en demandant à Cuba si elle était connue : “no conozco”, nous a-t-on répondu. Mais, pendant toutes ces années, certains politiciens et responsables culturels et même une association qui s’occupe de coopération dans la Caraïbe ont cru que cette artiste était une “émissaire” du gouvernement cubain et l’ont traitée comme une “reine”. Peut-on critiquer cette artiste cubaine? Non! Il y a un dicton qui dit : “Fo-w ba moun la sa moun la enmé pou moun la enmé-w” (traduction littérale: il faut donner aux gens ce que les gens aiment pour que les gens t’aiment).
Puisqu’il faut trouver les raisons de ce rejet du zouk par les jeunes gens, on peut citer également les créateurs du zouk eux-mêmes. Dans les années 1980 et 1990, Kassav’ a eu l’occasion de lancer de jeunes artistes (Pascal Vallot en 1987, par exemple) notamment à travers son concours de chant “Le Rêve Antillais”, ses membres collaboraient également à la réalisation d’albums d’artistes locaux (Joëlle Ursull, Jean-Michel Rotin etc.). Mais de nos jours, Kassav’ n’est pas aussi impliqué qu’il y a trente ans dans la transmission du zouk. C’est vrai que le groupe n’a plus beaucoup de temps car il est souvent en tournée à travers le monde. En effet, depuis quelques années, à cause de l’effondrement de la vente des disques, les artistes sont obligés d’effectuer des tournées plus longues pour rapporter de l’argent aux producteurs et ce phénomène n’est pas propre à Kassav’. En France hexagonale, les artistes tournent beaucoup en province alors que le groupe caribéen se produit aussi beaucoup à l’étranger, il est d’ailleurs devenu le premier groupe français qui sillonne le monde. Même si certains membres de Kassav’ font quelques collaborations extérieures, actuellement le “leader historique du zouk” préserve plutôt ses “acquis”.
Un Festival International du Zouk orphelin
Par ailleurs, il y a un Festival International du Zouk (FIZ) en Guadeloupe, initié par des amoureux de cette musique. Certes, on pourrait se demander quelle légitimité avaient ces personnes pour créer cette manifestation alors qu’elles n’ont pas inventé cette musique et qu’elles ne sont même pas musiciens ni chanteurs de zouk. Cependant, elles ont le mérite d’avoir mis en place ce Festival pour défendre ce patrimoine à un moment où certaines personnes orchestraient une campagne de dénigrement du zouk qu’elles présentaient comme une musique uniquement de “doudou-chéri” alors que le pays avait tant de problèmes à régler; cette affirmation est fausse car le zouk parle aussi de thèmes sérieux… Ce Festival ne rapporte pas d’argent à l’association de Loi 1901 qui l’organise et celle-ci vivote depuis 12 ans faute d’importantes subventions publiques.
De son côté, la Martinique organisera la 4e édition de son Festival du Zoukcette année.
On ne peut pas dire que les membres de Kassav’ se bousculent au portillon pour donner un coup de main et pérenniser ce Festival. Patrick Saint-Éloi a soutenu de son vivant le FIZ et, avec la discrétion qui le caractérisait, il venait assister aux réunions de préparation; Pierre-Édouard Décimus, l’un des membres fondateurs de Kassav’ qui vit en Guadeloupe, regarde maintenant avec bienveillance cette manifestation. Il semble que Jacob Desvarieux ait déclaré que les organisateurs n’avaient jamais fait appel à lui. Mais, il n’est jamais trop tard pour bien faire…
En Angola, il existe aussi un Festival de Zouk : le 15 septembre 2018, à Luanda la capitale de ce pays africain, Le Grand Méchant Zouk était sur scène et le 16 septembre 2018, Kassav’ s’est produit en concert.
Certains esprits optimistes pensent que le zouk n’est pas en danger, il évolue différemment avec des apports extérieurs. En 1989, le célèbre trompettiste américain Miles Davis avait déclaré que le “zouk est la musique du futur”. 30 ans plus tard, le constat est clair : beaucoup de jeunes Guadeloupéens et Martiniquais crachent sur le zouk.