Marie-Line Dahomay : “La jalousie jalonne mon parcours et je ne pense pas être la seule dans notre Guadeloupe”

Le livre de Marie-Line Dahomay, “Moun A Jalouzi” (3e prix du concours “Textes en Parole” 2021) a été adapté au théâtre et la pièce sera interprétée par Mickaël Blamèble et Esther Myrtil, le samedi 4 mai prochain à 19h00 lors de la 8e édition du Festival Cap Excellence en Théâtre aux Abymes. La chanteuse et écrivaine continue la promotion de son livre (publié aux Éditions Nèg Mawon) qui traite de la jalousie en Guadeloupe à travers des causeries. La prochaine rencontre avec le public aura lieu également le samedi 4 mai à 10h00 à la médiathèque Yvon Leborgne à Port-Louis.

Jalouzi a moun Félix Proto 2024.04.05

Kariculture : On vous connaissait plutôt comme chanteuse mais pas comme autrice de pièces de théâtre, “Jalouzi A Moun” est-ce votre première oeuvre théâtrale?

Marie-Line Dahomay : Bien sûr, la musique et le chant prédominent parmi mes principales activités… mais au fond de moi celle qui aime écrire que ce soit des poèmes, des lettres, des articles, des ouvrages est une réalité. Oui j’aime l’écriture et j’aime écrire. Enfant et même adulte, il m’est arrivé de créer des scenettes. J’ai beaucoup aimé les cours de théâtre avec Joël Jernidier, Gilbert Laumord, Martine Plocoste et Ary Kancel. Avec quelques amies, nous avons rendu un hommage à Ernest Pépin en mettant en scène un extrait de son ouvrage “Tambour Babel”. L’Opéra Ka de Carole Vénutolo m’a aussi permis d’approcher la comédie musicale pendant une dizaine d’années. Donc, le théâtre fait partie de moi depuis fort longtemps. Cependant “Jalouzi A Moun” est la première oeuvre éditée aux Éditions Nèg Mawon.

Kariculture : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire cette pièce de théâtre et pourquoi le thème de la jalousie?

M.-L. D : An tan Konfinman-Kovid… cette pièce a pris forme. Mais je la portais en moi depuis plusieurs années. Elle s’inspire en grande partie d’histoires vécues. La jalousie jalonne mon parcours et je ne pense pas être la seule dans notre Guadeloupe. On la rencontre à tous les niveaux, au travail, dans la musique, en famille, sur les bancs de l’école, en couple, dans la rue. Jalousie en soi, jalousie suscitée, j’ai compris qu’il s’agit là d’un processus interactif où le jaloux(se) et le jalousé(e), entretiennent des liens complexes et souvent pervers. Ce sentiment mine notre relationnel et nous empêche d’avancer surtout lorsque ceux-ci restent “kanpé” sur leurs préjugés, ceux-là sur leurs apriori, d’autres sur “an pa enmé tèt a misyé” sans raison. La jalousie existe dans tous les pays, mais j’en arrive à me demander si elle n’aurait pas dans nos contrées un trait singulier dû à notre passé colonial… William Lynch ne préconisait-il pas, afin de mieux contrôler les esclavisés, de faire jouer “les différences” entre eux afin de susciter la peur, la méfiance, l’envie, et donc la jalousie ? C’est une piste de recherche… Donc “An tan Konfinman-Kovid”, j’ai eu tout le temps nécessaire pour travailler sur cette pièce de théâtre “seul en scène” qui a remporté le 3ième prix du concours “Textes en Parole” 2021.

Jalouzi Port Louis(3)

Kariculture : Vous avez choisi le créole pour vous exprimer, c’était normal d’utiliser la langue du pays pour parler des relations entre les gens du pays?

M.-L. D : Le créole n’est pas un choix ni une option pour moi. C’est la réalité de mon quotidien : je parle, je pense, je compose spontannément en créole. C’est par cette langue que j’exprime au mieux les sentiments, les états d’âme, les émotions. Jèwmèn (Germaine), le personnage central de “Jalouzi A Moun”, est une Guadeloupéenne issue du quartier pointois de “Badlasous”. Dès le début, la pièce la présente telle une femme bien ancrée dans sa culture. Elle s’insurge, par exemple, contre la disparition des “véyé” durant le confinement. Mais dans la pièce, il y a aussi une “Voix off” qui la guide dans les méandres de sa jalousie et qui s’exprime parfois en français quand elle rentre dans une sorte de transe, de délire. Donc créole et français s’entrecroisent ici. Le créole est de plus en plus étudié dans les universités en Europe. L’ouvrage a donc une traduction française afin qu’il touche un large public.

Kariculture : Que pouvez-vous dire sur les deux comédiens – Mickaël Blamèble et Esther Myrtil – qui interprètent “Moun A Jalouzi”?

M.-L. D : Mickaël Blamèble et Esther Myrtil sont deux comédiens de grand talent. Je connaissais Mickaël en tant que chanteur et je le découvre dans une posture de metteur en scène, d’adaptateur. Je salue son travail qui a su rendre “Jalouzi a Moun” dans un concept très original. Esther m’a subjuguée lors de la première présentation en novembre. Elle incarne Jèwmèn dans toute sa splendeur. Avec humour, elle sait rendre ce personnage sympathique et créer une connivence avec le public. Je pense que chacun se retrouve à travers elle. On rit… on pleure… Je n’en dirai pas plus. J’invite tout le monde à venir découvrir “Jalouzi a Moun” le 4 mai à la salle Félix Proto aux Abymes.

Kariculture : Avez-vous l’intention de partir en tournée avec “Moun A Jalouzi”?

M.-L. D : L’auteur ne suit pas forcément la tournée. La pièce ne lui appartient plus. Mais toutefois, si je suis invitée à être sur une tournée, j’en serais ravie car ce livre suscite un débat passionnant à chaque fois que je le présente ! C’est pour cette raison que j’organise des causeries intitulées “Jalouzaj” en divers points de la Guadeloupe, dans des médiathèques, des bars, des centres culturels… là où l’on m’invite. J’ai choisi ce terme “Jalouzaj” car la jalousie peut être un processus collectif et pas seulement individuel… La prochaine causerie se tiendra le samedi 4 mai à 10h00 à la médiathèque de Port-Louis. Je serai accompagnée du sociologue anthropologue Raymond Otto qui connaît bien les fondements et rouages de notre société.

Jalouzi a moun Cover