Sommes-nous conscients que nous avons eu la chance d’avoir vu ou côtoyé le créateur (avec Pierre-Édouard Décimus) d’un style musical qui a fait le tour du monde? Jacob Desvarieux, la légende vivante, s’en est allé le vendredi 30 juillet après avoir contracté le Covid-19. Sur sa page Facebook a été publiée une photo de l’artiste et une bougie, la flamme est en forme de coeur.
Depuis l’annonce du décès de ce pilier du groupe Kassav’, les hommages viennent de partout : d’Emmanuel Macron (Président de la République), de Roselyne Bachelot (ministre de la Culture), Sébastien Le Cornu (ministre des Outre-Mer), d’Ary Chalus (président du Conseil Régional de la Guadeloupe), de Guy Losbar (président du Conseil Départemental de la Guadeloupe), Christiane Taubira (ex ministre de la Justice) parmi les représentants politiques, de tous ses amis musiciens et chanteurs ainsi que de ses millions de fans à travers le monde.
Kariculture vous retrace quelques grandes dates de la biographie de ce monument musical et culturel qui a fait rayonner les couleurs de la Guadeloupe et de la Caraïbe française sur la planète, qui les a rapproché de l’Afrique et qui a fait de Kassav’ le premier groupe musical français pour ce qui concerne les tournées internationales.
Né le 21 novembre 1955 à Paris, Jacob Desvarieux aurait eu 66 ans dans quatre mois, s’il n’avait pas été fauché par le Covid. Il a trois mois quand il arrive sur la terre natale de sa mère, la Guadeloupe. L’amour du voyage de celle-ci le fera d’abord connaître la Martinique, il vivra pendant une dizaine d’années en Guadeloupe et dans l’île soeur. C’est peut-être de là que lui viendra plus tard cette envie de travailler avec les Martiniquais et d’être au-dessus des polémiques qui peuvent parfois exister entre les deux îles.
Puis, sa mère qui a de la famille installée au Sénégal, l’emmène découvrir le grand continent noir, ses origines. Il y restera jusqu’à ses 12 ans mais il évoquera, toute sa vie, ses deux années passées dans ce pays. C’est là-bas qu’il apprendra les premières notes de guitare en compagnie des “grands frères” du quartier. Voyant sa passion pour la musique, sa mère lui offre une guitare quand il a 10 ans. Elle ne se trompera pas car Jacob décide de gagner sa vie avec la musique.
Nous sommes au début des années 1970, il devient d’abord arrangeur à 16 ans, puis à Marseille, il fonde un groupe de rock appelé “The Bad Grass”, ensuite ce sera “Sweet Bananas” qui enregistre le titre “Bilboa dance” qui deviendra le générique d’une émission matinale sur RMC et, plus tard, il rejoint le groupe “Ozila”.
Après ce séjour dans le sud de la France, le jeune homme regagne la capitale et c’est là qu’il rencontre le bassiste guadeloupéen Pierre-Édouard Décimus. En 1979, ils décident de fonder Kassav’, un groupe novateur, différent qui bouleversera tout sur son passage en recrutant des chanteurs et musiciens hors-pair. Le premier album de Kassav’ s’appelle Love and Ka Dance, c’est un vinyle avec quatre titres. Puis d’autres disques vont s’enchaîner, parmi eux Lagué mwen (1980), Aye (1984), An ba chenn la (1985), Vini Pou (1987), Majestik Zouk (1989), Difé (1995), Nou la (2000), All you need is Zouk (2007) etc. Le dernier album studio de Kassav’ étant Sonjé (2013). Le groupe a toujours interprété ses chansons en créole.
Comme plusieurs autres membres de Kassav’ (Patrick Saint-Éloi, Jean-Philippe Marthély, Jocelyne Béroard, Georges Décimus, Claude Vamur, Jean-Claude Naimro), Jacob Desvarieux sort aussi des albums solo. Il y a Banzawa (1983), Yélélé (avec Georges Décimus, 1984, avec le tube “Zouk la sé sèl médikaman nou ni”), Oh Madiana (1985), Gorée (1986) ou encore Euphrasine’s Blues (1999). Euphrasine étant son ancêtre africaine retrouvée après des recherches généalogiques. En 2018, l’artiste s’appuie sur cet album, sorti près de 20 ans auparavant, pour faire le projet Nam Kann (L’Âme de la Canne) rendant hommage à tous ces esclaves en Guadeloupe ou en Martinique notamment qui ont travaillé dans les champs de canne.
En 1987, Jacob Desvarieux lance le Rêve Antillais qui a un énorme succès ; Pascal Vallot est l’un des gagnants de ce grand concours de chant destiné à promouvoir cette jeune musique parmi les jeunes Guadeloupéens et Martiniquais. À cette époque, le zouk est à son apogée, les fans de ces deux îles françaises de la Caraïbe ne ratent aucun concert de Kassav’, ils font la queue pendant des heures devant les stades…
Jacob Desvarieux est surnommé le patron, le boss, l’homme d’affaires ou le requin du groupe mais grâce à sa rigueur et son professionnalisme, il saura emmener Kassav’ sur les plus grandes scènes des cinq continents pour se produire, à chaque fois, devant des milliers de spectateurs.
En Afrique, les membres de Kassav’ sont accueillis comme des chefs d’État par des fans en délire. En 1989, Kassav’ fête ses 10 ans et devient le premier groupe musical noir à se produire en URSS. En 2009, Kassav’ est le premier groupe français à remplir le Stade de France – 80 000 personnes – pour fêter ses 30 années d’existence.
En 1988, Jacob Desvarieux à l’idée de lancer Le Grand Méchant Zouk. Ce méga concert met sur scène les meilleurs chanteurs et musiciens du moment accompagnés par le groupe Kassav’ et quelques musiciens invités. En 2017, la 7e édition qui se déroule au Zénith à Paris est consacré à un autre monument guadeloupéen du Zouk et ex membre de Kassav’, décédé le 18 décembre 2010 : Patrick Saint-Éloi, le roi du zouk-love.
À partir des années 2000, Jacob Desvarieux commence à collaborer avec des artistes souvent plus jeunes, originaires surtout de la Caraïbe et d’Afrique et oeuvrant dans différents genres musicaux (ragga, rap, dance hall, R&B etc.), le zouk prend alors une autre couleur. Parmi ces derniers, on retrouve : Jocelyne Labylle, Cheela et Passi (Laisse parler les gens, 2003), Lynnsha et Lady Sweety (Ma rivale, 2006), Admiral T et Jocelyne Béroard (Fòs a péyi la, 2007), Vick et Bayce (Viens bouger ton Botcho, 2010), Yola Araujo (E hoje ou nunca, 2011), T-Shaa et Misié Sadik (Ban nou misik, 2015), King Daddy Yod (Démaré mwen, 2018) Toofan (Ou lé, 2019) ou encore Machel Montano (Dancè, 2019).
Notons que pendant sa carrière, Jacob Desvarieux a aussi collaboré à des oeuvres humanitaires. En 2017, il est le parrain de l’association “1 pour tous, tous pour l’autisme”. L’artiste a également reçu plusieurs distinctions honorifiques comme les insignes du chevalier des Arts et des Lettres, en décembre 2020.
Le 11 mai 2019, ils sont 40 000 réunis à Paris La Défense Arena pour regarder le premier concert anniversaire de Kassav’ qui célèbre ses 40 années d’existence. Puis, le groupe débute une grande tournée nationale qui passe par la Guadeloupe et la Martinique et une tournée internationale pour fêter l’événement mais celle-ci s’arrête à cause de l’épidémie de Covid-19. Jacob Desvarieux reste confiné dans la maison de sa mère à Saint-François en Guadeloupe, un lieu où il vient régulièrement se ressourcer parmi les siens.
En 2021, après plus d’une année d’attente, l’agenda du groupe Kassav’ recommence à se remplir et l’artiste décide de refaire cette tournée en Guadeloupe et Martinique qu’il avait faite en novembre 2018 afin de chanter et jouer le blues de la canne à sucre lors de son concert “Nanm Kann“, accompagné de musiciens et choristes qu’il avait choisis avec soin. C’est durant ces rencontres dans sa Caraïbe qu’il a été contaminé par le Covid-19 et qu’il nous a quittés : “Il est dorénavant bienheureux parmi les artistes éternels. Nous nous souviendrons de lui”, comme l’a dit une de ses cousines également artiste.