L’accent guadeloupéen va-t-il disparaître? Cet accent que, dès qu’on l’entendait, on savait qu’on avait affaire à un (e) Guadeloupéen (ne)… Depuis quelque temps, l’accent guadeloupéen se fait de plus en plus rare, non pas dans nos campagnes où il survit encore heureusement, mais dans nos médias, nos administrations, nos entreprises, par exemple.
Quand on ouvre la radio pour écouter un journal d’information, on croirait écouter une station émettant depuis la France hexagonale. Les gens qui nous parlent sont parfois originaires de l’Hexagone, parfois ce sont des Guadeloupéens nés ou ayant vécu dans l’Hexagone et parfois ce sont des Guadeloupéens qui ont endossé l’accent parisien parce qu’il faut rentrer dans le moule alors ils “roulent comme des pianos américains” et parfois aussi ils “échouent dans le décor” car l’accent créole qui a été chassé revient au galop sans compter les fautes de français…
Parfois, on constate que certains journalistes ayant l’accent parisien n’interviewent que des personnes ayant ce même accent parisien, et là, on se dit que cela devient grave…
Pour ce qui concerne l’information, il est vrai que, depuis l’école de journalisme, on apprend aux étudiants à parler un français neutre ou avec l’accent parisien ou ils comprennent qu’ils doivent le faire. Mais, jusqu’à maintenant, nos médias audiovisuels en Outre-Mer et plus spécialement en Guadeloupe échappaient à cette uniformisation ou cette “parisianisation” linguistique. Cette tendance s’est accélérée ces derniers temps car la plupart des jeunes journalistes locaux sont passés par des écoles de journalisme en France hexagonale où ils ont été formatés…
Les auditeurs et téléspectateurs se sont habitués à entendre l’accent parisien – où le “r” est très prononcé alors que le créole l’efface – dans les médias locaux et parfois ils le préfèrent ; c’est le cas de cette habitante des Abymes, Gilberte, qui me déclarait à propos d’une station de radio privée locale : “yo ka palé byen!” (ils parlent bien!). Autrement dit, l’accent français parisien est meilleur que l’accent français guadeloupéen…
Une perte de notre identité
Cette remarque positive qui peut sembler anodine montre qu’en réalité nous sommes en train de perdre une composante importante de notre identité guadeloupéenne et, inconsciemment, nous l’acceptons. Le mot “accent” vient du latin “accentum” soit “ad cantum” et signifie étymologiquement “pour le chant”. L’accent est la prononciation particulière d’une langue dans une région ou dans un milieu social. Il fait partie de nous.
En écoutant certaines stations de radio locales, quelque chose pourrait nous rappeler que nous sommes réellement en Guadeloupe : la publicité. Mais, force est de constater que, dans ce domaine-là aussi, l’accent guadeloupéen a également disparu et presque tous les spots publicitaires sont faits dans un français parisien.
Il y a, par exemple, cette annonce publicitaire où une mère donne à son enfant une “glace” fabriquée ici (produit local!) mais avec un accent très parisien ; il y a cette autre annonce pour une librairie qui pourtant parle de culture guadeloupéenne et qui est faite avec deux voix : l’une parlant un créole un peu “travesti” ou “aristocratique” comme si c’était une honte de s’exprimer carrément dans un créole guadeloupéen normal et l’autre parlant franchement le français avec l’accent parisien.
Mais il y a une autre publicité qui interpelle : elle nous demande de visiter l’archipel de la Guadeloupe – à cause du Covid-19, les voyages dans les pays étrangers étant restreints – mais la voix utilisée parle un français parisien! Comment a-t-on pu choisir un accent d’ailleurs pour vendre la Guadeloupe à des Guadeloupéens? Et plus largement, comment peut-on parler de produits de Guadeloupe, du terroir quand la voix ou l’accent de la voix qui nous les vend n’est pas d’ici? Il y a là une énorme contradiction.
En cherchant bien, les agences de publicité trouveraient sûrement des personnes ayant l’accent “français de Guadeloupe” qui accepteraient d’enregistrer des spots publicitaires pour la radio et la télévision sur des sujets “sérieux”… Quant aux rares annonces publicitaires en créole, elles sont souvent faites pour amuser même si la langue créole est enseignée aujourd’hui à l’Université…
Ce problème concernant l’accent régional dans la publicité s’apparente à celui de la couleur de peau auquel j’avais consacré une enquête, il y a plusieurs années, dans un magazine.
Une domination de l’accent parisien
Par ailleurs, cette prise du pouvoir de l’accent parisien en Guadeloupe s’observe également dans la famille. En effet, de plus en plus, nous rencontrons des enfants qui ont déjà cet accent alors qu’ils n’ont jamais quitté l’archipel et que leurs parents parlent le français avec l’accent guadeloupéen. Cette tendance peut peut-être s’expliquer par le fait qu’ils regardent beaucoup de dessins animés ou de films français et ils ont adopté cet accent. De plus, il y a pléthore de chaînes télévisées, de plateformes sur le Net et de DVD à la disposition de ce jeune public.
On a tendance à dire que le cerveau des enfants est comme une éponge: il absorbe. D’ailleurs, certaines écoles de langues affirment que, contrairement aux adultes, les enfants (surtout de moins de 12 ans) ont une “prédisposition” à imiter et intégrer le “bon” accent ; leur appareil articulatoire n’étant pas encore figé, ils assimilent les sons et l’intonation d’une nouvelle langue en les imitant. C’est la raison pour laquelle ces écoles de langues pour enfants proposent des cours avec des professeurs étrangers…
L’accent guadeloupéen risque d’être encore davantage malmené car, selon les statistiques, beaucoup de nos jeunes quittent l’archipel après le baccalauréat et ne reviennent pas. Ceux qui reviennent, des années plus tard, ont déjà adopté un autre accent…
Cependant, le problème de la disparition de l’accent régional n’est pas propre à la Guadeloupe. Il se pose aussi en France hexagonale. Dans les médias, beaucoup de journalistes et d’animateurs (trices) ont été obligés de ranger leur accent au placard. De même que dans les administrations, les entreprises ou l’enseignement, l’accent régional, surtout s’il est fort, n’est pas le bienvenu. Il est associé à la banlieue, la province, des lieux reculés et peu civilisés ; ici en Guadeloupe, on dirait “la chyen ka japé pa ké” (là où les chiens aboient par la queue).
Donc, nous Français dans la Caraïbe, nous ne devons pas être complexés par notre accent car la France hexagonale est une terre recouverte d’accents.
Un extraterrestre à Matignon
Un homme politique est venu récemment relancer ce débat sur les accents régionaux, il se nomme Jean Castex. Lors de sa nomination au poste de Premier Ministre de la France, le 3 juillet dernier, le premier commentaire entendu sur une chaîne française d’information en continu : “il a un accent”.
Depuis, le nouveau Chef du gouvernement qui est originaire du Département du Gers fait l’objet de moqueries et de commentaires dans les médias ou sur les réseaux sociaux à cause de son accent du Sud-Ouest. Le locataire de Matignon est vu comme un extraterrestre puisque, depuis la Seconde Guerre Mondiale, dit-on, aucun homme politique important n’avait conservé son accent régional.
Les choses pourrait changer parce qu’en décembre 2019, Christophe Euzet, député de l’Hérault (LREM), a été à l’initiative d’une proposition de loi “visant à promouvoir la France des accents” car, sur le territoire hexagonal, outre l’accent parisien, il existe l’accent du Nord, l’accent du Sud et l’accent lyonnais (influencés par toutes les langues régionales dont certaines ne sont plus parlées) mais également les accents des Départements et Territoires d’Outre-Mer.
Le parlementaire débute ainsi son exposé des motifs : “La présente proposition de loi vise à promouvoir la diversité de prononciation de la langue française en prohibant les “discriminations par l’accent” que l’on constate factuellement dans les fonctions impliquant, tout particulièrement, une expression publique : le texte entend faire évoluer les mentalités dans le temps en engageant la modification du droit en vigueur (…)”. L’idée du député est de combattre la glottophobie (discrimination par l’accent) en la considérant comme un délit puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (Code pénal).