La plasticienne Laurrence Brudey et le maître d’art Yves Thôle partagent leur amour du tambour-Ka

La plasticienne Laurrence Brudey et le maître d'art Yves Thôle - Photo: Evelyne Chaville

Du mercredi 5 au dimanche 9 juin dernier, le Mouvman Kiltirèl Akiyo organisait au Pavillon de la Ville à Pointe-à-Pitre une exposition intitulée “Sonjé Vélo”, dans le cadre du 40e anniversaire de la mort du percussionniste Marcel Lollia alias “Vélo”. La plasticienne Laurrence Brudey a présenté 40 pièces réalisées à partir de 40 tambours-ka faits par le célèbre maître d’art, facteur et restaurateur de percussions Yves Thôle, pendant 5 mois de collaboration artistique. Le jeudi 06 juin dernier, Kariculture a discuté avec Laurrence Brudey à propos de ce projet très original et enrichissant.

 

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Kariculture : Pourriez-vous vous présenter?

L. B. : J’ai été “révélée” parce que je faisais des activités artistiques mais jamais au grand public, c’était vraiment dans un contexte très personnel. Je suis partie en Nouvelle-Calédonie pendant quatre ans…

Expo Laurrence Brudey & Yves Thôle 7CKariculture : Jusque là?

L. B. : Oui, j’ai eu la chance de rencontrer des femmes kanaks qui m’ont initiée au secret de la matière, au travail de la matière végétale et surtout, surtout, surtout “réconciliée” avec ma culture guadeloupéenne où j’avais un peu de mal à trouver ma place. Et de là, c’est parti. Elles m’ont transmis ce qu’elles avaient à me transmettre pendant quatre ans, j’ai appris énormément en Nouvelle-Calédonie : j’ai appris à faire mes encadrements moi-même donc à couper mon bois moi-même, créer mes oeuvres moi-même, à colorer le sable que j’utilise et j’insiste, c’est du sable de chantier car on n’a pas le droit de le ramasser sur les plages. C’est du sable blanc que je lave, que je mets à sécher et que je colore. Elles m’ont appris, elles m’ont donné tout cela, je suis retournée en Guadeloupe et je me suis dit qu’il faut absolument que je puisse créer des oeuvres qui parlent, qui font la promotion de la culture de la Guadeloupe.

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Kariculture : Quand avez-vous eu votre expérience calédonienne?

L. B. : Mon expérience en Nouvelle-Calédonie, c’était de 2006 à 2010.

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Kariculture : Donc, il y a 14 ans…

L. B. : Cela fait 14 ans et je ne suis toujours pas revenue..

Expo Laurrence Brudey & Yves Thôle 27GKariculture : Votre âme est restée là-bas?

L. B. : Mon âme, je crois qu’il y a une partie de moi qui est restée en Nouvelle-Calédonie.

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Kariculture : Cette exposition est-elle uniquement pour cette manifestation ou ce sont des oeuvres que vous allez “refaire” ? Est-ce une forme de signature?

L. B. : C’est ma signature effectivement puisque je suis une artiste plasticienne qui travaille exclusivement la matière végétale issue de notre territoire Guadeloupe. Bien évidemment, en faisant de la pédagogie, en rappelant à tout un chacun les vertus de cette matière transmise par mes anciens, je suis entourée d’aînés qui m’en parlent et cela fait partie de mon processus de recherche pour ma démarche artistique ; ensuite il y a le symbolisme qu’elle représente, par exemple sur les tableaux vous allez trouver des plumes qui représentent la légèreté, l’envol.

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Kariculture : J’ai vu une liste de matériaux que vous avez utilisés, est-ce uniquement de la récupération?

L. B. : C’est de la récupération. Ce sont des graines végétales qui m’ont été offertes, le bois qui sont des douelles de ka d’Yves Thôle qui devaient partir à la déchetterie car elles n’étaient pas conformes pour la fabrication du ka donc je les ai récupérées et je les ai sublimées.

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Kariculture : Comment est née cette collaboration entre Yves Thôle et vous?

L. B. : Elle est née d’un rêve, tout simplement. Un artiste, c’est un processus, on est tous artistes dans l’âme, il faut qu’on aille chercher dans notre intérieur, on sait tous créer quelque chose. Donc, ce processus est simple. Comment c’est arrivé? C’est ce désir, je ne dirai pas de redonner vie mais de la prolonger. Concernant le binôme que l’on a aujourd’hui, c’est Akiyo qui, dans le cadre des 40 ans de la mort de Vélo, a voulu nous inviter et j’ai répondu favorablement à cette invitation pour mettre à l’honneur ce travail que j’avais déjà commencé avec Yves, car c’est aussi ma vision. Donc, c’était l’occasion de montrer les différentes étapes de la fabrication du ka selon la méthode Yves Thôle.

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Kariculture : Ici, votre oeuvre, intitulée “Ka la paré pou soné”, est-ce une copie d’un tambour-ka? Je vous ai vu l’expliquer aux écoliers…

L. B. : En fait, j’ai décliné toutes les phases de fabrication du ka donc forcément on arrive à la présentation du ka de manière artistique. Effectivement, la composition des oeuvres répond à l’image, à l’objet réel de manière artistique. J’ai mis ma petite patte, ma petite vision, ma petite touche féminine…

 

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Kariculture : Peut-on avoir une explication de cette oeuvre?

L. B. : Juste au-dessus, il y a une douelle de tonneau. Yves est tonnelier et ce tonneau était cassé donc j’ai récupéré cette douelle. Elle représente le cordage du tambour sur le plan artistique. Les douelles qui sont collées debout pour faire le tambour sont des éclats de calebasses que j’ai accrochés un à un. Il y en a 251. Si vous regardez bien (vous prenez du recul), vous regardez le tambour de face, vous ne cherchez pas à regarder le dessus, l’oeuvre c’est exactement le tambour vu de face avec ses trois cercles qui sont représentés avec le rejet du palmier royal qui a été courbé pour donner la forme. Ensuite, les “cochettes” du tambour sont représentées avec des cercles de bambou, la clé c’est un morceau de treillis soudé (des déchets de mon atelier que j’ai construit, il n’y a pas longtemps). La ficelle, c’est la fibre du bananier. Sur cette oeuvre, vous avez 7 tambours qui sont posés et qui représentent les 7 rythmes du gwo-ka. Il y a la fleur de corossol en rapport avec les effets du corossol sur la santé puisqu’on en fait des bains, des décoctions etc. C’est pour cela que je vous ai parlé du symbolisme. Le tambour c’est quelque chose qui capte, qui permet de se connecter avec des énergies qu’il y a autour, c’est quelque chose qui met de la joie. J’ai représenté les cornes avec des graines de sablier. La peau de cabri est présente car, quand Yves travaille, il y a des déchets, que vous retrouvez ici au niveau de la douelle couchée.

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Kariculture : Donc vous avez “nettoyé” son atelier (rires)…

L. B. : Oui, il est content parce que j’ai “nettoyé” son atelier (rires).

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Kariculture : Que vous apporte cette collaboration?

L. B. : En tant qu’artiste, c’est très important pour moi

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Kariculture : Yves Thôle, c’est un monument…

L. B. : Yves Thôle est un monument, c’est quelqu’un qui a un grand coeur et c’est aussi quelqu’un qui sait transmettre. En Guadeloupe, beaucoup de nos aînés partent avec leurs secrets mais lui, il fait partie de ceux qui transmettent donc il m’a transmis pendant les 5 mois d’immersion, de création pour sortir 40 pièces. Il y a eu une espèce de duo, de binôme, d’osmose et surtout des moments privilégiés avec Yves qui m’a expliqué tous les petits secrets de la fabrication du ka. Maintenant, je peux fabriquer un ka toute seule (rires)…

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Jacqueline Cachemire-Thôle

Kariculture : Vous allez lui faire concurrence (rires)…

L. B. : Concurrence, mais de manière artistique parce que je respecte le travail de mes artisans, parce que j’ai voulu le mettre à l’honneur à travers mes oeuvres, parce que, comme vous le dîtes, c’est un monument et c’est du vivant des gens qu’on doit pouvoir dire qu’il y a eu un travail qui a été fait en Guadeloupe, ils ont fait leur part – quand on voit Yves, on voit son épouse Jacqueline – ils ont apporté leur pierre à l’édifice et c’est important de mettre toutes ces personnes à l’honneur.

Expo Laurrence Brudey & Yves Thôle 25PKariculture : Cette exposition va-t-elle tourner ?

L. B. : Je serai à L’Arawak du 17 juillet au 31 août, une partie des oeuvres y sera exposée. Au mois d’octobre, je serai à la médiathèque du Lamentin avec une partie de ces oeuvres et de nouvelles car un artiste n’arrête jamais de créer.