Le lundi 5 juillet dernier, le Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre a été pris d’assaut. Nous avons appris que les “assaillants” ou occupants étaient des artistes de l’Alyans Nasyonal Gwadloup (ANG), un mouvement politique nationaliste ayant présenté sa candidature aux récentes élections régionales avec une liste dénommée “Nou”. Étant arrivée 3e parmi les 12 listes-candidates avec 8 591 voix, ses militants ont sûrement pensé qu’ils avaient la légitimité pour faire ce coup d’éclat dans la nuit. Une des artistes, dans un discours un peu confus à la télévision nationale, plutôt joyeuse et non grave vu les circonstances, a déclaré qu’ils attendaient que l’on vienne leur parler…
On peut alors se demander à quoi tout cela rimait? Faire un peu de communication, de promotion sur le dos de ce “pauvre Centre des Arts et de la Culture” en pleine agonie depuis des années? La culture est évidemment en berne depuis l’apparition du Covid-19 (responsable de tous les maux) mais cette situation n’est pas propre à la Guadeloupe, elle est mondiale. Dans la Caraïbe où les aides financières ont été moindres que chez nous, les artistes prennent leur mal en patience et leur état est critique…
Par conséquent, on peut s’étonner de cette manière de faire car tous les membres de l’ANG qui sont au fait de l’actualité politique en Guadeloupe savent parfaitement qui est responsable du Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre. Ils savent parfaitement que c’est la communauté d’agglomération Cap Excellence qui est chargée de cette structure, depuis de longues années… Alors, pourquoi les dirigeants de l’ANG et une délégation composée d’artistes adhérents de ce mouvement n’ont-ils pas demandé audience au président de Cap Excellence qu’ils connaissent très bien? Certains l’appellent par son prénom, le tutoient, lui tapent dans le dos, boivent un verre avec lui, rient avec lui, plaisantent avec lui, discutent de sujets sérieux ou non avec lui, lui adressent des demandes de subventions pour concrétiser leurs projets culturels etc…bref, c’est leur “boug” (ami).
Certes, durant le grand débat télévisé à la télévision nationale avec les 12 têtes de liste lors des élections régionales, la culture, qui est l’âme du pays et qui est créatrice d’emplois, a été totalement oubliée parmi les thèmes de discussion. On a été très surpris qu’aucun artiste ou mouvement culturel n’ait dénoncé cet état de choses dans l’entre-deux tours des élections.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire mais certains artistes n’ont pas compris cette démonstration de force de lundi dernier et certains affirment même que ce sont les artistes les plus “gâtés”, les plus “nantis” qui réclament toujours davantage : “ceux qui ont déjà obtenu des milliers d’euros de subventions publiques pour monter leur festival, voyager pour aller représenter l’archipel dans l’Hexagone ou ailleurs, participer à des expositions internationales, organiser des expositions et des concerts en Guadeloupe et à l’étranger, ceux dont le nom de famille ouvre toutes les portes qui crient le plus fort alors que nos dossiers sont enterrés (…)”, s’indignent-ils.
Cet étonnement s’est également vu dans l’interview accordée par la présidente de la commission culture de Cap Excellence, ce mercredi 7 juillet à une radio privée. Pour cette dernière, ce “groupe de citoyens” aurait dû prendre contact avec la collectivité pour connaître les avancées de ce dossier. Cependant, si on a suivi les épisodes de ce feuilleton du Centre des Arts & de la Culture de Pointe-à-Pitre, on ne peut s’empêcher d’être surpris par les déclarations de cette élue à la culture de Cap Excellence. En effet, en novembre 2020, n’était-il pas prévu de vendre le Centre des Arts et de la Culture puisque la ville de Pointe-à-Pitre est en faillite et la communauté d’agglomération Cap Excellence disait ne plus avoir les moyens de supporter toutes les dépenses? Durant les semaines qui ont suivi, on a bien vu des camions venir récupérer des matériels (grues etc.) sur le chantier.
Aujourd’hui, cette élue de la mairie des Abymes et de la communauté d’agglomération Cap Excellence déclare : “C’était au départ un projet de la ville de Pointe-à-Pitre mais la ville de Pointe-à-Pitre ne pouvait pas porter ce projet donc c’est Cap Excellence qui porte ce projet”. Mais, une communauté d’agglomération est un mariage où les époux sont solidaires, c’est donc normal que Cap Excellence soit chargée de ce chantier.
“Mais un projet porté par Cap Excellence n’est pas un projet estampillé Cap Excellence, le Centre des Arts est une structure qui appartient à la Guadeloupe, qui appartient aux artistes venant de partout (…)”, a-t-elle expliqué. Ah bon!? Cap Excellence gère légalement les travaux de rénovation depuis 2010 et elle se rend compte 11 ans après qu’elle n’a pas les reins assez solides pour terminer ce chantier? On parle de plusieurs entreprises qui auraient fait faillite, si c’est vrai, pourquoi un tel désastre financier? Le Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre serait-il maudit?
“Le projet du Centre des Arts comporte 3 volets : un volet création, un volet formation et un volet diffusion. Nous pensons qu’il faut prioriser le volet diffusion. C’est pour cette raison que nous allons très rapidement mettre en oeuvre notre programme d’action pour qu’au moins la salle de diffusion soit disponible pour le 2e semestre 2022 (…)”, a affirmé cette élue sur les ondes de cette radio locale privée. Autrement dit, une partie du chantier sera terminée pour la production de spectacles, dans une année. Est-ce faisable et surtout avec quel argent? Celui du Conseil Régional et du Conseil départemental de la Guadeloupe? Ce coup d’éclat était-il destiné à mettre sous pression les présidents des deux grandes collectivités de l’archipel?
Une chose est sûre, la campagne électorale est bel et bien terminée. Les prochaines élections régionales sont en mars 2028 et nul ne sait si les électeurs apporteront massivement leur soutien à l’Alyans Nasyonal Gwadloup ou si ce mouvement politique existera encore. Pendant ces 7 prochaines années, l’ANG sera-t-elle dans la construction ou la contestation? Par ailleurs, si les artistes de l’ANG souhaitent diriger un jour notre archipel, ils doivent savoir que la politique n’est pas un “flash mob” et qu’ils seront amenés à s’assoeir et discuter à tête reposée des différents dossiers afin de prendre les décisions qui s’imposent.