On parle souvent d’Aimé Césaire, de Léopold Sédar Sengor quand il s’agit de parler de la Négritude mais l’histoire a volontairement ou non oublié celle qui a joué un rôle central dans la création de ce courant littéraire en France. Il s’agit de Paulette Nardal, journaliste et femme de lettres.
Félix Jeanne Paule Nardal est née dans la commune du François en Martinique en 1896 dans une famille bourgeoise. Elle est l’aînée des sept filles de Paul Nardal (ingénieur noir) et de Louise Achille (institutrice métisse) : Jeanne, Andrée, Alice, Lucy, Cécile et Émilie.
Après avoir été institutrice, en 1920, la jeune Martiniquaise qui est âgée de 24 ans, décide de poursuivre ses études de lettres. Elle part en « France Métropolitaine » et s’inscrit à la Sorbonne pour apprendre l’anglais. C’est une révolution car, sa sœur Jeanne et elle sont les premières étudiantes noires de la Martinique à intégrer cette université parisienne. La thèse de celle qui deviendra Paulette Nardal est consacrée à l’écrivaine et abolitionniste américaine Harriet Beecher Stowe qui a publié en 1852 le célèbre roman, La Case de l’Oncle Tom.
La théoricienne de la Négritude
Dans la ville lumière, Paulette Nardal va voir des pièces de théâtre, assister à des concerts, visiter des expositions, écouter de la musique et danser en fréquentant le Bal Nègre où elle se replonge dans ses racines antillaises, elle assiste également aux revues de la grande Joséphine Baker et s’éveille à la « conscience noire ».
En 1929, au numéro 7 de la rue Hébert à Clamart dans la banlieue parisienne où elle habite avec ses deux sœurs, elle ouvre un salon littéraire ; elle souhaite que les diasporas noires apprennent à se connaître, que les femmes soient émancipées et elle pose les bases de la Négritude. De nombreux intellectuels noirs de l’époque fréquenteront son appartement : René Maran (qui obtient le Prix Goncourt en 1921), Léon-Gontran Damas, Léopold Senghor, Aimé Césaire, Jean Price Mars, Claude MacKay, Marcus Garvey, Félix Éboué…
À 32 ans, elle écrit pour une revue panafricaniste, la Dépêche Africaine. En 1931, quelques temps après l’Exposition coloniale française, elle fonde avec sa sœur Andrée et le poète haïtien Léo Sajous, La Revue du Monde Noir. Sur la 4e de couverture de ce magazine qui était rédigé en français et anglais étaient énoncés les objectifs : «Créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction de nationalité, un lien intellectuel et moral qui leur permette de mieux se connaître, de s’aimer fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et d’illustrer leur race (…). Par ce moyen, la Race noire contribuera avec l’élite des autres Races et tous ceux qui ont reçu la lumière du vrai, du beau et du bien, au perfectionnement matériel, intellectuel et moral de l’humanité ».
Césaire et Senghor : misogynes ?
En 1932, après la publication de six numéros et pour des raisons économiques, La Revue du Monde Noir cesse de paraître. En 1935, Césaire crée L’Étudiant Noir (journal mensuel de l’association des étudiants martiniquais en France) qui publiera les poèmes de Damas et les premiers articles de Senghor. Ces derniers poursuivront alors le travail commencé pour développer ce courant littéraire et oublieront de mentionner ceux qui les ont précédés. Paulette Nardal qui a été la première femme journaliste noire à Paris dira : “Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d’étincelles, nous n’étions que des femmes ! Nous avons balisé les pistes pour les hommes”.
La jeune femme se sent proche du continent noir. Elle est contre l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie fasciste en 1935 et en 1937, elle se rend Sénégal, pays de son ami Senghor.
En 1939, l’Allemagne déclare la guerre à la France, Paulette Nardal qui se trouve en vacances dans son île natale décide de regagner la France mais son bateau est torpillé, elle est grièvement blessée et est soignée à Plymouth en Angleterre. Elle ne peut plus se déplacer comme avant et devra réduire ses activités.
Militante jusqu’à la fin de sa vie
Puis, elle rentre en Martinique définitivement où elle ouvre un autre salon littéraire. Elle donne des cours d’anglais aux jeunes dissidents qui font escale dans l’île anglaise, Sainte-Lucie, pour rejoindre le Général de Gaulle et défendre la Mère Patrie. En 1945, elle lance le « Rassemblement féminin » pour aider les femmes à faire usage de leur droit de vote obtenu le 21 avril 1944. En 1948, la journaliste fonde une revue mensuelle, La Femme dans la Cité, qui sera publiée jusqu’en 1951. Elle est féministe et catholique et rejette le communisme. Par ailleurs, pendant une année et demie, elle travaille pour les Nations-Unies en tant que déléguée à la section des territoires autonomes.
À l’occasion du centenaire de l’abolition de l’esclavage (1848), Paulette Nardal rédige un historique de la tradition musicale des campagnes martiniquaises ; elle souhaite que le « Bèlè » et le « Adja » soient revalorisés car ces musiques locales sont délaissées par les jeunes au profit du jazz.
Dans les années 1950, elle crée avec sa sœur Alice, qui est la mère de la célèbre cantatrice Christiane Éda-Pierre (1932-2020), la chorale «Joie de Chanter » pour permettre à l’âme noire de s’exprimer. Elle décède le 16 février 1985 à Fort-de-France.