Ces derniers mois et particulièrement durant ces grandes vacances scolaires de juillet et d’août, nous avons été envahis par une musique un peu particulière : un mélange de zouk de Guadeloupe & Martinique et de konpa d’Haïti.
Souvent, on pense écouter du zouk mais au beau milieu du morceau, on constate que le tempo a changé et qu’il s’agit de konpa. En Guadeloupe et Martinique, certains appellent ce nouveau rythme “zouk-konpa”, en Haïti, “konpa-zouk”. Comment expliquer cette tendance musicale?
Certains affirment que puisque beaucoup de jeunes Guadeloupéens et Martiniquais préfèrent explorer le dance hall jamaicain et rejettent le zouk qui a pourtant été créé chez eux, les Haïtiens – notamment ceux vivant à Miami – ont vu la richesse de cette musique et les bénéfices qu’ils pouvaient en tirer et l’ont adaptée à leur konpa. Dernièrement, lors d’une réunion sur le zouk, un Guadeloupéen travaillant dans le milieu des médias s’est dit très surpris de n’avoir rencontré que des Haïtiens dans l’organisation d’un événement sur le zouk à Miami (Floride)…
Les plus pessimistes affirment que le zouk est en train de disparaître, les plus optimistes pensent qu’il est en train d’évoluer. On pourrait en dire autant à propos du konpa. Depuis quelques mois, un groupe haïtien – Harmonik – fait un tabac en Guadeloupe et en Martinique avec ce mix de konpa et zouk. Un de ses membres éminents et représentants de ce nouveau style musical n’est autre que Nickenson Prudhomme qui travaille depuis des années déjà avec des artistes de zouk (Warren, Face à Face, Tina Ly, Ali Angel, Dominique Lorté etc…).
Des artistes de zouk séduits par le konpa
On s’est vite rendu compte que ce mélange des deux rythmes caribéens plaisaient beaucoup à nos artistes de zouk de Guadeloupe et Martinique (et de Guyane) qu’ils vivent dans la Caraïbe, en Europe ou sous d’autres cieux. Eux aussi ont adopté ce nouveau style musical.
Pour expliquer cet engouement soudain, certains déclarent que la majorité de nos jeunes artistes n’ont connu que le zouk et considéraient le konpa comme une musique pour les “vieux”, donc dédiée à leurs parents et grands-parents (c’est d’ailleurs la même réflexion que font maintenant beaucoup de jeunes à propos du zouk…). Ils ont fini par découvrir la beauté de cette musique venue d’Haïti surtout par le biais de jeunes groupes (Carimi jusqu’en 2016, Vyab, Kréyol la, T-Kabzy etc.) qui proposent un konpa très moderne.
Pour d’autres, ce mélange des deux rhytmes est la preuve d’un manque d’inspiration.
Pour d’autres encore, c’est surtout une affaire d’argent qui est destinée à conquérir des fans en Guadeloupe, Martinique, Haïti, en France hexagonale, aux États-Unis et ailleurs.
Enfin, les plus blasés pensent qu’il ne s’agit seulement que d’une mode et bientôt chacun retournera au zouk pur et au konpa pur.
Cependant, qui aurait dit qu’un jour ces deux musiques se seraient rapprochées et même mélangées ? Il y a 40 ans, aurait-on prévu ce mariage entre ces deux rythmes caribéens?
L’ère de la “Konpamania”
Quand le zouk a vu le jour, il y a plus d’une quarantaine d’années, sa “mission” première était de “déraciner” le konpa en Guadeloupe et en Martinique. En effet, les Guadeloupéens et les Martiniquais qui sont âgés de 45 ans et plus ont vécu cette “konpamania” : ils ont tous entendu cette musique haïtienne à la radio; ils ont tous vu leurs parents acheter des disques et jouer cette musique sur l’électrophone puis la chaîne hi-fi lors des baptêmes, premières communions, confirmations, mariages, anniversaires etc ; ils ont entendu cette musique dans les cars et taxis collectifs ; ils ont entendu, vu ou lu les interviews des groupes en tournée ici car la Guadeloupe et la Martinique étaient un passage obligé pour tous les groupes de konpa à succès ; ils ont entendu parler ou assister à leurs concerts mythiques dans les grandes salles de spectacles ou boîtes de nuit de l’époque… Bref, le konpa créé en 1955 par Nemours Jean-Baptiste était partout même si la kadans (une autre musique dont les racines sont haïtiennes) jouée et adaptée par des musiciens guadeloupéens et martiniquais – avec entre autres Les Vikings, Les Léopards, Typical Combo, Les Aiglons, Les Maxells, La Perfecta, Super Combo, La Sélecta, La Protesta, Expérience 7, Georges Plonquitte, Simon Jurad et Opération 78 – résistait comme elle le pouvait. Malgré cette domination du konpa, personne ne remettait en cause la beauté de cette musique caribéenne, le talent des musiciens haïtiens qui faisaient danser les petits et les grands… D’ailleurs, ces groupes savaient que leurs fans étaient très nombreux en Guadeloupe et Martinique et, souvent dans leurs chansons, ils mentionnaient les lieux où ils avaient joué dans ces deux îles…
Les dégâts de l’ouragan Zouk
Aujourd’hui, personne n’a oublié les noms de ces célèbres groupes de konpa en provenance d’Haïti ou issus de la diaspora haïtienne vivant aux États-Unis : Shleu-Shleu, Skah Shah, Tabou Combo, Bossa Combo, Frères Déjean, Magnum Band, Coupé Cloué, Scorpio, Ti Manno et le Gemini All Stars, Mini All Stars, Volo Volo, DP Express, Djet-X, entre autres. Certains fans conservent leur collection de disques vinyl comme un trésor.
En 1978, entrait en scène Kassav’, ce groupe de zouk créé par les musiciens guadeloupéens Pierre-Édouard Décimus et Jacob Desvarieux dont les membres sont originaires de la Guadeloupe et de la Martinique.
Séduits par ce nouveau zouk, d’autres groupes allaient se former et une multitude de chanteurs et chanteuses allaient entamer une carrière en solo et devenir de véritables stars..les mauvaises langues disent d’ailleurs que celui ou celle qui n’a pas sorti un disque à cette époque ne le voulait pas! Chacun apportait sa pierre à l’édifice de cette nouvelle musique avec des “couleurs” différentes.
Et à partir des années 1980, les groupes haïtiens allaient commencer une longue traversée du désert dans ces deux Départements français d’Amérique même si une musique konpa plus moderne lancée par une nouvelle génération de groupes (Top Vice, Digital Express, par exemple) continuait à séduire des fans ; même si les plus célèbres groupes comme Tabou Combo ou Magnum Band continuaient à se produire bref, à faire de la résistance, soutenus par leurs nombreux fans qui font partie de la catégorie “sénior” ; Tabou Combo sera d’ailleurs en concert en Guadeloupe le 19 octobre 2019 pour célébrer son 52e anniversaire.
Exit la variété française
La musique zouk n’a pas seulement freiné l’influence du konpa haïtien, elle a aussi balayé la variété française en Guadeloupe et Martinique. En effet, souvent nous oublions que beaucoup d’entre nous (jeunes filles, en particulier) avions notre “cahier de chant” avec des succès de Claude François, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Sheila, Ringo, Dalida, Eddy Mitchell, Joe Dassin, Julien Clerc, Michel Sardou, Michel Berger, France Gall, Michel Delpech, Véronique Sanson, Dave, Michel Fugain, Alain Souchon, Laurent Voulzy etc. Les Français de l’Hexagone sont toujours très surpris d’apprendre que nous avions cette passion pour la chanson française sous les tropiques et que nous connaissions ces stars françaises aussi bien qu’eux… Certains ont même eu l’occasion d’acheter des magazines comme OK ou Podium afin de découper les paroles des chansons et les coller dans leur fameux “cahier de chant” ou récupérer les posters…
En 2019, si Kassav’ a entamé sa tournée internationale pour célébrer son 40e anniversaire, le konpa a effectué son grand-retour à travers les nombreuses émissions radiophoniques et soirées qui lui sont dédiées en Guadeloupe et Martinique ; son public reste les personnes de 50 ans et plus.
Quant au mix de zouk et de konpa qui connaît un succès actuellement, il a le mérite de non seulement rajeunir les artistes pratiquant ces deux musiques caribéennes mais aussi leurs fans. Faut-il y voir une nouvelle forme de compétition entre les deux rythmes? Lequel sortira vainqueur : le zouk-konpa ou le konpa-zouk?